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de six mille hommes à Saint-James, des troupes régulières, de l’artillerie et des officiers anglais. Mais que deviendraient ces gens-là sans lui ? je pense comme Fouché, sa tête est tout.

— Eh ! bien, l’aurons-nous ? demanda Corentin impatienté.

— Je ne sais pas, répondit-elle avec insouciance.

— Des Anglais !… cria Hulot en colère, il ne lui manquait plus que ça pour être un brigand fini ! Ah ! je vais t’en donner, moi, des Anglais !…

— Il paraît, citoyen diplomate, que tu te laisses périodiquement mettre en déroute par cette fille-là, dit Hulot à Corentin quand ils se trouvèrent à quelques pas de la maison.

— Il est tout naturel, citoyen commandant, répliqua Corentin d’un air pensif, que dans tout ce qu’elle nous a dit, tu n’aies vu que du feu. Vous autres troupiers, vous ne savez pas qu’il existe plusieurs manières de guerroyer. Employer habilement les passions des hommes ou des femmes comme des ressorts que l’on fait mouvoir au profit de l’État, mettre les rouages à leur place dans cette grande machine que nous appelons un gouvernement, et se plaire à y renfermer les plus indomptables sentiments comme des détentes que l’on s’amuse à surveiller, n’est-ce pas créer, et, comme Dieu, se placer au centre de l’univers ?…

— Tu me permettras de préférer mon métier au tien, répliqua sèchement le militaire. Ainsi, vous ferez tout ce que vous voudrez avec vos rouages ; mais je ne connais d’autre supérieur que le ministre de la guerre, j’ai mes ordres, je vais me mettre en campagne avec des lapins qui ne boudent pas, et prendre en face l’ennemi que tu veux saisir par-derrière.

— Oh ! tu peux te préparer à marcher, reprit Corentin. D’après ce que cette fille m’a laissé deviner, quelque impénétrable qu’elle te semble, tu vas avoir à t’escarmoucher, et je te procurerai avant peu le plaisir d’un tête-à-tête avec le chef de ces brigands.

— Comment ça ? demanda Hulot en reculant pour mieux regarder cet étrange personnage.

— Mademoiselle de Verneuil aime le Gars, reprit Corentin d’une voix sourde, et peut-être en est-elle aimée ! Un marquis, cordon-rouge, jeune et spirituel, qui sait même s’il n’est pas riche encore, combien de tentations ! Elle serait bien sotte de ne pas agir pour son compte, en tâchant de l’épouser plutôt que de nous le livrer ! Elle cherche à nous amuser. Mais j’ai lu dans les yeux de cette