Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 13.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dit d’une voix sourde : — Ne me pardonnerez-vous donc pas ?

— L’amour, lui répondit-elle avec froideur, ne pardonne rien, ou pardonne tout. Mais, reprit-elle, en lui voyant faire un mouvement de joie, il faut aimer.

Elle avait repris le bras du comte et s’était élancée dans une espèce de boudoir attenant à la salle de jeu. Le marquis y suivit Marie.

— Vous m’écouterez, s’écria-t-il.

— Vous feriez croire, monsieur, répondit-elle, que je suis venue ici pour vous et non par respect pour moi-même. Si vous ne cessez cette odieuse poursuite, je me retire.

— Eh ! bien, dit-il en se souvenant d’une des plus folles actions du dernier duc de Lorraine, laissez-moi vous parler seulement pendant le temps que je pourrai garder dans la main ce charbon.

Il se baissa vers le foyer, saisit un bout de tison et le serra violemment. Mademoiselle de Verneuil rougit, dégagea vivement son bras de celui du comte et regarda le marquis avec étonnement. Le comte s’éloigna doucement et laissa les deux amants seuls. Une si folle action avait ébranlé le cœur de Marie, car, en amour, il n’y a rien de plus persuasif qu’une courageuse bêtise.

— Vous me prouvez là, dit-elle en essayant de lui faire jeter le charbon, que vous me livreriez au plus cruel de tous les supplices. Vous êtes extrême en tout. Sur la foi d’un sot et les calomnies d’une femme, vous avez soupçonné celle qui venait de vous sauver la vie d’être capable de vous vendre.

— Oui, dit-il en souriant, j’ai été cruel envers vous ; mais oubliez-le toujours, je ne l’oublierai jamais. Écoutez-moi. J’ai été indignement trompé, mais tant de circonstances dans cette fatale journée se sont trouvées contre vous.

— Et ces circonstances suffisaient pour éteindre votre amour ?

Il hésitait à répondre, elle fit un geste de dédain, et se leva.

— Oh ! Marie, maintenant je ne veux plus croire que vous…

— Mais jetez donc ce feu ! Vous êtes fou. Ouvrez votre main, je le veux.

Il se plut à opposer une molle résistance aux doux efforts de sa maîtresse, pour prolonger le plaisir aigu qu’il éprouvait à être fortement pressé par ses doigts mignons et caressants ; mais elle réussit enfin à ouvrir cette main qu’elle aurait voulu pouvoir baiser. Le sang avait éteint le charbon.