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deux fois les courriers, et je n’ai reçu mes dépêches et les derniers décrets qu’au moyen d’un exprès envoyé par Bernadotte au moment où il quittait le Ministère. Des amis m’ont heureusement écrit confidentiellement sur cette débâcle. Fouché a découvert que le tyran Louis XVIII a été averti par des traîtres de Paris d’envoyer un chef à ses canards de l’intérieur. On pense que Barras trahit la République. Bref, Pitt et les princes ont envoyé, ici, un ci-devant, homme vigoureux, plein de talent, qui voudrait, en réunissant les efforts des Vendéens à ceux des Chouans, abattre le bonnet de la République. Ce camarade-là a débarqué dans le Morbihan, je l’ai su le premier, je l’ai appris aux malins de Paris, le Gars est le nom qu’il s’est donné. Tous ces animaux-là, dit-il en montrant Marche-à-terre, chaussent des noms qui donneraient la colique à un honnête patriote s’il les portait. Or, notre homme est dans ce district. L’arrivée de ce Chouan-là, et il indiqua de nouveau Marche-à-terre, m’annonce qu’il est sur notre dos. Mais on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, et vous allez m’aider à ramener mes linottes à la cage et plus vite que ça ! Je serais un joli coco si je me laissais engluer comme une corneille par ce ci-devant qui arrive de Londres sous prétexte d’avoir à épousseter nos chapeaux !

En apprenant ces circonstances secrètes et critiques, les deux officiers, sachant que leur commandant ne s’alarmait jamais en vain, prirent alors cette contenance grave qu’ont les militaires au fort du danger, lorsqu’ils sont fortement trempés et habitués à voir un peu loin dans les affaires humaines. Gérard voulut répondre, et demander toutes les nouvelles politiques dont une partie était passée sous silence par le commandant ; mais un signe de Hulot lui imposa silence ; et tous les trois ils se mirent à regarder Marche-à-terre.

Ce Chouan ne donna pas la moindre marque d’émotion en se voyant sous la surveillance de ces hommes aussi redoutables par leur intelligence que par leur force corporelle. La curiosité des deux officiers, pour lesquels cette sorte de guerre était nouvelle ; fut vivement excitée par le commencement d’une affaire qui offrait un intérêt presque romanesque ; aussi voulurent-ils en plaisanter ; mais, au premier mot qui leur échappa, Hulot les regarda gravement et leur dit : — Tonnerre de Dieu ! n’allons pas fumer sur le tonneau de poudre, citoyens. C’est s’amuser à porter de l’eau dans