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difficile de s’expliquer, quelques instants après et quand elle recueillit ses idées, par quels moyens elle avait pu grimper sur le petit mur où elle s’était cachée. Elle ne s’aperçut même pas d’abord de la gêne que la position de son corps lui fit éprouver ; mais cette gêne finit par devenir intolérable, car elle ressemblait, sous l’arceau d’une voûte, à la Vénus accroupie qu’un amateur aurait placée dans une niche trop étroite. Ce mur assez large et construit en granit formait une séparation entre le passage d’un escalier et un caveau d’où partaient les gémissements. Elle vit bientôt un inconnu couvert de peaux de chèvre descendant au-dessous d’elle et tournant sous la voûte sans faire le moindre mouvement qui annonçât une recherche empressée. Impatiente de savoir s’il se présenterait quelque chance de salut pour elle, mademoiselle de Verneuil attendit avec anxiété que la lumière portée par l’inconnu éclairât le caveau où elle apercevait à terre une masse informe, mais animée, qui essayait d’atteindre à une certaine partie de la muraille par des mouvements violents et répétés, semblables aux brusques contorsions d’une carpe mise hors de l’eau sur la rive.

Une petite torche de résine répandit bientôt sa lueur bleuâtre et incertaine dans le caveau. Malgré la sombre poésie que l’imagination de mademoiselle de Verneuil répandait sur ces voûtes qui répercutaient les sons d’une prière douloureuse, elle fut obligée de reconnaître qu’elle se trouvait dans une cuisine souterraine, abandonnée depuis longtemps. Éclairée, la masse informe devint un petit homme très gros dont tous les membres avaient été attachés avec précaution, mais qui semblait avoir été laissé sur les dalles humides sans aucun soin par ceux qui s’en étaient emparés. À l’aspect de l’étranger tenant d’une main la torche, et de l’autre un fagot, le captif poussa un gémissement profond qui attaqua si vivement la sensibilité de mademoiselle de Verneuil, qu’elle oublia sa propre terreur, son désespoir, la gêne horrible de tous ses membres pliés qui s’engourdissaient ; elle tâcha de rester immobile. Le Chouan jeta son fagot dans la cheminée après s’être assuré de la solidité d’une vieille crémaillère qui pendait le long d’une haute plaque en fonte, et mit le feu au bois avec sa torche. Mademoiselle de Verneuil ne reconnut pas alors sans effroi ce rusé Pille-miche auquel sa rivale l’avait livrée, et dont la figure, illuminée par la flamme, ressemblait à celle de ces petits hommes de buis, grotesquement sculptés en Allemagne. La plainte échappée à son