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avec horreur. Voilà les défenseurs du Roi ! Où sont donc les gentilshommes et les seigneurs ?

— Mais, dit le marquis avec impertinence, ils sont répandus dans toutes les cours de l’Europe. Qui donc enrôle les rois, leurs cabinets, leurs armées, au service de la maison de Bourbon, et les lance sur cette République qui menace de mort toutes les monarchies et l’ordre social d’une destruction complète ?…

— Ah ! répondit-elle avec une généreuse émotion, soyez désormais la source pure où je puiserai les idées que je dois encore acquérir… j’y consens. Mais laissez-moi penser que vous êtes le seul noble qui fasse son devoir en attaquant la France avec des Français, et non à l’aide de l’étranger. Je suis femme, et sens que si mon enfant me frappait dans sa colère, je pourrais lui pardonner ; mais s’il me voyait de sang-froid déchirée par un inconnu, je le regarderais comme un monstre.

— Vous serez toujours Républicaine, dit le marquis en proie à une délicieuse ivresse excitée par les généreux accents qui le confirmaient dans ses présomptions.

— Républicaine ? Non, je ne le suis plus. Je ne vous estimerais pas si vous vous soumettiez au premier Consul, reprit-elle ; mais je ne voudrais pas non plus vous voir à la tête de gens qui pillent un coin de la France au lieu d’assaillir toute la République. Pour qui vous battez-vous ? Qu’attendez-vous d’un roi rétabli sur le trône par vos mains ? Une femme a déjà entrepris ce beau chef-d’œuvre, le roi libéré l’a laissé brûler vive. Ces hommes-là sont les oints du Seigneur, et il y a du danger à toucher aux choses consacrées. Laissez Dieu seul les placer, les déplacer, les replacer sur leurs tabourets de pourpre. Si vous avez pesé la récompense qui vous en reviendra, vous êtes à mes yeux dix fois plus grand que je ne vous croyais ; foulez-moi alors si vous le voulez aux pieds, je vous le permets, je serai heureuse.

— Vous êtes ravissante ! N’essayez pas d’endoctriner ces messieurs, je serais sans soldats.

— Ah ! si vous vouliez me laisser vous convertir, nous irions à mille lieues d’ici.

— Ces hommes que vous paraissez mépriser sauront périr dans la lutte, répliqua le marquis d’un ton plus grave, et leurs torts seront oubliés. D’ailleurs, si mes efforts sont couronnés de quelques succès, les lauriers du triomphe ne cacheront-ils pas tout ?