Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui dans le cerveau n’était qu’une idée devient une créature animée. La science en est à croire aujourd’hui que, sous l’effort des passions à leur paroxysme le cerveau s’injecte de sang, et que cette congestion produit les jeux effrayants du rêve dans l’état de veille, tant on répugne à considérer (Voyez Louis Lambert, Études philosophiques) la pensée comme une force vive et génératrice. Lucien vit le Palais dans toute sa beauté primitive. La colonnade fut svelte, jeune, fraîche. La demeure de saint Louis reparut telle qu’elle fut, il en admirait les proportions babyloniennes et les fantaisies orientales. Il accepta cette vue sublime comme un poétique adieu de la création civilisée. En prenant ses mesures pour mourir, il se demandait comment cette merveille existait inconnue dans Paris. Il était deux Lucien, un Lucien poète en promenade dans le Moyen-Âge, sous les arcades et sous les tourelles de saint Louis, et un Lucien apprêtant son suicide.

Au moment où monsieur de Grandville sortit de son cabinet, le directeur de la Conciergerie se présenta, l’expression de cette physionomie était telle que le procureur général rentra ; d’ailleurs le directeur avait à la main un paquet et lui disait : — Voici, monsieur, un paquet de lettres pour vous qui vient d’un prévenu dont le triste sort m’amène.

— Serait-ce monsieur Lucien de Rubempré ?… demanda monsieur de Grandville saisi par un angoisse affreuse.

— Oui, monsieur. Le surveillant du préau a entendu un bruit de carreaux cassés, à la Pistole, et le voisin de monsieur Lucien a jeté des cris perçants, car il entendait l’agonie de ce pauvre jeune homme. Le surveillant est revenu pâle du spectacle qui s’est offert à ses yeux, il a vu le prévenu pendu à la croisée au moyen de sa cravate…

Quoique le directeur parlât à voix basse, le cri terrible que poussa madame de Sérisy prouva que, dans les circonstances suprêmes, nos organes ont une puissance incalculée. La comtesse entendit ou devina ; mais, avant que monsieur de Grandville se fût retourné, sans que ni monsieur de Sérisy ni monsieur de Bauvan pussent s’opposer à des mouvements si rapides, elle fila comme un trait, par la porte, et parvint à la galerie marchande où elle courut jusqu’à l’escalier qui descend à la rue de la Barillerie.

Un avocat déposait sa robe à la porte d’une de ces boutiques qui pendant si longtemps encombrèrent cette galerie où l’on vendait