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l’opposition. Vous descendez d’Adam par cette ligne en qui le diable a continué de souffler le feu dont la première étincelle avait été jetée sur Ève. Parmi les démons de cette filiation, il s’en trouve, de temps en temps, de terribles, à organisations vastes, qui résument toutes les forces humaines, et qui ressemblent à ces fiévreux animaux du désert dont la vie exige les espaces immenses qu’ils y trouvent. Ces gens-là sont dangereux dans la Société comme les lions le seraient en pleine Normandie : il leur faut une pâture, ils dévorent les hommes vulgaires et broutent les écus des niais ; leurs jeux sont si périlleux qu’ils finissent par tuer l’humble chien dont ils se sont fait un compagnon, une idole. Quand Dieu le veut, ces êtres mystérieux sont Moïse, Attila, Charlemagne, Robespierre ou Napoléon ; mais, quand il laisse rouiller au fond de l’océan d’une génération ces instruments gigantesques, ils ne sont plus que Pugatcheff, Fouché, Louvel et l’abbé Carlos Herrera. Doués d’un immense pouvoir sur les âmes tendres, ils les attirent et les broient. C’est grand, c’est beau dans son genre. C’est la plante vénéneuse aux riches couleurs qui fascine les enfants dans les bois. C’est la poésie du mal. Des hommes comme vous autres doivent habiter des antres, et n’en pas sortir. Tu m’as fait vivre de cette vie gigantesque, et j’ai bien mon compte de l’existence. Ainsi, je puis retirer ma tête des nœuds gordiens de ta politique pour la donner au nœud coulant de ma cravate.

Pour réparer ma faute, je transmets au procureur général une rétractation de mon interrogatoire ; vous verrez à tirer parti de cette pièce.

Par le vœu d’un testament en bonne forme, on vous rendra, monsieur l’abbé, les sommes appartenant à votre Ordre, desquelles vous avez disposé très imprudemment pour moi, par suite de la paternelle tendresse que vous m’avez portée.

Adieu donc, adieu, grandiose statue du mal et de la corruption, adieu, vous qui, dans la bonne voie, eussiez été plus que Ximenès, plus que Richelieu, vous avez tenu vos promesses : je me retrouve au bord de la Charente, après vous avoir dû les enchantements d’un rêve ; mais, malheureusement, ce n’est plus la rivière de mon pays où j’allais noyer les peccadilles de la jeunesse ; c’est la Seine, et mon trou, c’est un cabanon de la Conciergerie.