— Je l’ai rencontré sur la grande route, au moment où j’allais me débarrasser de la vie par un suicide…
— Vous n’aviez jamais entendu parler de lui dans votre famille, à votre mère ?…
— Jamais.
— Votre mère ne vous a jamais dit avoir rencontré d’Espagnol ?
— Jamais.
— Pouvez-vous vous rappeler le mois, l’année où vous vous êtes lié avec la demoiselle Esther ?
— Vers la fin de 1823, à un petit théâtre du boulevard.
— Elle a commencé par vous coûter de l’argent ?
— Oui, monsieur.
— Dernièrement, dans le désir d’épouser mademoiselle de Grandlieu, vous avez acheté les restes du château de Rubempré, vous y avez joint des terres pour un million, vous avez dit à la famille Grandlieu que votre sœur et votre beau-frère venaient de faire un héritage considérable et que vous deviez ces sommes à leur libéralité ?… Avez-vous dit cela, monsieur, à la famille Grandlieu ?
— Oui, monsieur.
— Vous ignorez la cause de la rupture de votre mariage ?
— Entièrement, monsieur.
— Eh ! bien, la famille de Grandlieu a envoyé chez votre beau-frère un des plus respectables avoués de Paris pour prendre des renseignements. À Angoulême, l’avoué, d’après les aveux mêmes de votre sœur et de votre beau-frère, a su que non-seulement ils vous avaient prêté peu de chose, mais encore que leur héritage se composait d’immeubles, assez importants, il est vrai, mais la somme des capitaux s’élevait à peine à deux cent mille francs… Vous ne devez pas trouver étrange qu’une famille comme celle de Grandlieu recule devant une fortune dont l’origine ne se justifie pas… Voilà, monsieur, où vous a conduit un mensonge…
Lucien fut glacé par cette révélation, et le peu de force d’esprit qu’il conservait l’abandonna.
— La police et la justice savent tout ce qu’elles veulent savoir, dit Camusot, songez bien à ceci. Maintenant, reprit-il en pensant à la qualité de père que s’était donnée Jacques Collin, connaissez-vous qui est ce prétendu Carlos Herrera ?
— Oui, monsieur, mais je l’ai su trop tard…
— Comment trop tard ? Expliquez-vous !