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et, si vous pouvez me donner de bonnes raisons… Parlez, ceci ne sera pas écrit…

— Eh ! bien, reprit Jacques Collin trompé par la bonhomie de Camusot, je sais tout ce que ce pauvre enfant souffre en ce moment, il est capable d’attenter à ses jours en se voyant en prison…

— Oh ! quant à cela, dit Camusot en faisant un haut-le-corps.

— Vous ne savez pas qui vous obligez en m’obligeant, ajouta Jacques Collin qui voulut remuer d’autres cordes. Vous rendez service à un Ordre plus puissant que des comtesses de Sérisy, que des duchesses de Maufrigneuse qui ne vous pardonneront pas d’avoir eu dans votre cabinet leurs lettres…, dit-il en montrant deux liasses parfumées… Mon Ordre a de la mémoire.

— Monsieur ! dit Camusot, assez. Cherchez d’autres raisons à me donner. Je me dois autant au prévenu qu’à la vindicte publique.

— Eh ! bien, croyez-moi, je connais Lucien, c’est une âme de femme, de poète et de méridional, sans consistance ni volonté, reprit Jacques Collin, qui crut avoir enfin deviné que le juge leur était acquis. Vous êtes certain de l’innocence de ce jeune homme, ne le tourmentez pas, ne le questionnez point ; remettez-lui cette lettre, annoncez-lui qu’il est l’héritier d’Esther, et rendez-lui la liberté… Si vous agissez autrement, vous en serez au désespoir ; tandis que si vous le relaxez purement et simplement, je vous expliquerai, moi (gardez-moi au secret), demain, ce soir tout ce qui pourrait vous sembler mystérieux dans cette affaire, et les raisons de la poursuite acharnée dont je suis l’objet ; mais je risquerai ma vie, on en veut à ma tête depuis cinq ans… Lucien libre, riche et marié à Clotilde de Grandlieu, ma tâche ici-bas est accomplie, je ne défendrai plus ma peau… Mon persécuteur est un espion de votre dernier roi…

— Ah ! Corentin !

— Ah ! il se nomme Corentin… Je vous remercie… Eh ! bien, monsieur, voulez-vous me promettre de faire ce que je vous demande ?…

— Un juge ne peut et ne doit rien promettre. Coquart ! dites à l’huissier et aux gendarmes de reconduire le prévenu à la Conciergerie… — Je donnerai des ordres pour que ce soir vous soyez à la pistole, ajouta-t-il avec douceur en faisant un léger salut de tête au prévenu.

Frappé de la demande que Jacques Collin venait de lui adresser