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Adieu, mon nini, adieu ! je te bénis de tout mon malheur. Jusque dans la tombe je serai

»Ton Esther… »

Onze heures sonnent. J’ai fait ma dernière prière, je vais me coucher pour mourir. Encore une fois, adieu ! Je voudrais que la chaleur de ma main laissât là mon âme comme j’y mets un dernier baiser, et je veux encore une fois te nommer mon gentil minet, quoique tu sois la cause de la mort de ton

» Esther. »

Un mouvement de jalousie pressa le cœur du juge en terminant la lecture de la seule lettre d’un suicide qu’il eût vue écrite avec cette gaieté, quoique ce fût une gaieté fébrile, et le dernier effort d’une tendresse aveugle.

— Qu’a-t-il donc de particulier pour être aimé ainsi !… pensa-t-il en répétant ce que disent tous les hommes qui n’ont pas le don de plaire aux femmes.

— S’il vous est possible de prouver non-seulement que vous n’êtes pas Jacques Collin, forçat libéré, mais encore que vous êtes bien réellement don Carlos Herrera, chanoine de Tolède, envoyé secret de Sa Majesté Ferdinand VII, dit le juge à Jacques Collin, vous serez mis en liberté, car l’impartialité qu’exige mon ministère m’oblige à vous dire que je reçois à l’instant une lettre de la demoiselle Esther Gobseck où elle avoue l’intention de se donner la mort, et où elle émet sur ses domestiques des soupçons qui paraissent les désigner comme étant les auteurs de la soustraction des sept cent cinquante mille francs.

En parlant, monsieur Camusot comparait l’écriture de la lettre avec celle du testament, et il fut évident pour lui que la lettre était bien écrite par la même personne qui avait fait le testament.

— Monsieur, vous vous êtes trop pressé de croire à un crime, ne vous pressez pas de croire à un vol.

— Ah ! dit Camusot en jetant un regard de juge sur le prévenu.

— Ne croyez pas que je me compromette en vous disant que