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— En voilà bien assez pour aujourd’hui, reprit monsieur Camusot, vous devez avoir besoin de prendre quelques aliments, je vais vous faire reconduire à la Conciergerie.

— Hélas ! je souffre trop pour manger, dit Jacques Collin.

Camusot voulait faire coïncider le moment du retour de Jacques Collin avec l’heure de la promenade des accusés dans le préau ; mais il voulait avoir du directeur de la Conciergerie une réponse à l’ordre qu’il lui avait donné le matin, et il sonna pour envoyer son huissier. L’huissier vint et dit que la portière de la maison du quai Malaquais avait à lui remettre une pièce importante relative à monsieur Lucien de Rubempré. Cet incident devint si grave qu’il fit oublier son dessein à Camusot.

— Qu’elle entre ! dit-il.

— Pardon, excuse, monsieur, fit la portière en saluant le juge et l’abbé Carlos tour à tour. Nous avons été si troublés, mon mari et moi, par la Justice, les deux fois qu’elle est venue, que nous avons oublié dans notre commode une lettre à l’adresse de monsieur Lucien, et pour laquelle nous avons payé dix sous quoiqu’elle soit de Paris, car elle est très lourde. Voulez-vous me rembourser le port. Dieu sait quand nous verrons nos locataires !

— Cette lettre vous a été remise par le facteur ? demanda Camusot après avoir examiné très attentivement l’enveloppe.

— Oui, monsieur.

— Coquart, vous allez dresser procès-verbal de cette déclaration. Allez ! ma bonne femme. Donnez vos noms, vos qualités…

Camusot fit prêter serment à la portière, puis il dicta le procès-verbal.

Pendant l’accomplissement de ces formalités, il vérifiait le timbre de la poste qui portait les dates des heures de levée et de distribution, ainsi que la date du jour. Or, cette lettre, remise chez Lucien le lendemain de la mort d’Esther, avait été sans nul doute écrite et jetée à la poste le jour de la catastrophe.

Maintenant on pourra juger de la stupéfaction de monsieur Camusot en lisant cette lettre, écrite et signée par celle qu’on croyait la victime d’un crime.