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due innocence sous les pratiques d’une menteuse dévotion, a des antécédents qui prouvent sa décision, son intrépidité dans les cas extrêmes. Elle allègue qu’elle a été trompée par sa fille, qu’elle croyait qu’il s’agissait de fonds appartenant au sieur Bryond. Ruse grossière ! Si le sieur Bryond avait eu des fonds, il n’eût pas quitté le pays pour éviter d’être témoin de sa déconfiture. La dame Lechantre fut rassurée contre la honte du vol, quand elle le vit approuvé par son allié Boislaurier. Mais comment explique-t-elle la présence de Rifoël à Saint-Savin, les courses et les relations de ce jeune homme avec sa fille, le séjour des brigands servis par la fille Godard, par la dame Bryond ? Elle allègue un profond sommeil, elle se retranche dans une prétendue habitude de se coucher à sept heures du soir, et elle ne sait que répondre quand le magistrat instructeur lui fait observer qu’alors elle se levait au jour, et qu’au jour elle devait apercevoir quelques traces du complot et du séjour de tant de gens, s’inquiéter des sorties et des rentrées nocturnes de sa fille. Elle objecte alors qu’elle était en prières. Cette femme est un modèle d’hypocrisie. Enfin son voyage le jour du crime, le soin qu’elle prend d’emmener sa fille à Mortagne, sa course avec l’argent, sa fuite précipitée quand tout est découvert, le soin qu’elle prend de se cacher, les circonstances mêmes de son arrestation, tout prouve une complicité de longue main. Elle n’a pas agi en mère qui veut éclairer sa fille et l’arracher à son danger, mais en complice qui tremble ; et sa complicité n’a pas été l’égarement de la tendresse, elle est le fruit de l’esprit de parti, l’inspiration d’une haine connue contre le gouvernement de Sa Majesté impériale et royale. Un égarement maternel ne l’excuserait pas d’ailleurs : et nous ne devons pas oublier que le consentement de longue date prémédité doit être le signe le plus évident de la complicité.

Ainsi que les éléments du crime, ses artisans sont à découvert. On voit le monstrueux assemblage des délires d’une faction avec les amorces de la rapine, l’assassinat conseillé par l’esprit de parti, sous l’égide duquel on essaie de se justifier à soi-même les plus ignobles excès. La voix des chefs donne le signal du pillage des deniers publics pour solder des crimes ultérieurs ; de vils et farouches stipendiaires l’effectuent à bas prix, ne reculent pas devant l’assassinat ; et des fauteurs de rébellion, non moins coupables, aident au partage, au recel du butin. Quelle société tolérerait de pareils attentats ? La justice n’a pas assez de rigueurs pour les punir.