Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/511

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ceci veut quelques mots sur une association qui fit dans ce temps bien du tapage, dit monsieur Alain en interrompant son récit. Je veux vous parler des Chauffeurs. Chaque province de l’Ouest fut alors plus ou moins atteinte par ces brigandages, dont l’objet était beaucoup moins le pillage qu’une résurrection de la guerre royaliste. On profita, dit-on, du grand nombre de réfractaires à la loi sur la conscription, exécutée alors comme vous le savez jusqu’à l’abus. Entre Mortagne et Rennes, au delà même et jusque sur les bords de la Loire, il y eut des expéditions nocturnes qui dans cette portion de la Normandie, frappèrent principalement sur les détenteurs de biens nationaux. Ces bandes répandirent une terreur profonde dans les campagnes. Ce n’est pas vous tromper que de vous faire observer que, dans certains départements, l’action de la justice fut pendant long-temps paralysée. Ces derniers retentissements de la guerre civile ne firent pas autant de bruit que vous pourriez le croire, habitués que nous sommes aujourd’hui à l’effrayante publicité donnée par la Presse aux moindres procès politiques ou particuliers. Le système du gouvernement impérial était celui de tous les gouvernements absolus. La censure ne laissait rien publier de tout ce qui concernait la politique, excepté les faits accomplis, et encore étaient-ils travestis. Si vous vous donniez la peine de feuilleter le Moniteur, les autres journaux existants, et même ceux de l’Ouest, vous ne trouveriez pas un mot des quatre ou cinq procès criminels qui coûtèrent la vie à soixante ou quatre-vingts brigands. Ce nom, donné pendant l’époque révolutionnaire aux Vendéens, aux Chouans et à tous ceux qui prirent les armes pour la maison de Bourbon fut maintenu judiciairement sous l’Empire aux royalistes victimes de quelques complots isolés. Pour quelques caractères passionnés, l’Empereur et son gouvernement c’était l’ennemi, tout paraissait être de bonne prise de ce qui se prenait sur lui. Je vous explique ces opinions sans prétendre vous les justifier, et je reprends.

— Maintenant, dit-il après une de ces pauses nécessaires dans les longs récits, admettez de ces Royalistes ruinés par la guerre civile de 1793, soumis à des passions violentes ; admettez des natures d’exception dévorées de besoins comme celles du gendre de madame de La Chanterie et de cet ancien chef, et vous pourrez comprendre comment ils pouvaient se décider à commettre, dans leur intérêt