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accomplissait les austérités claustrales, et faisait des économies pour soulager les pauvres…

— Y a-t-il jusqu’à présent une vie plus sainte et plus éprouvée que celle de cette noble femme, si douce avec l’infortune, si courageuse dans le danger et toujours si chrétienne ? dit le bonhomme en regardant Godefroid étonné. Vous connaissez Madame, vous savez si elle manque de sens, de jugement, de réflexion ; elle a toutes ces qualités au plus haut degré. Eh ! bien, ces malheurs, qui suffiraient à faire dire d’une existence qu’elle surpasse toutes les autres en adversités, ne sont rien en comparaison de ce que Dieu réservait à cette femme. — Occupons-nous exclusivement de la fille de madame de La Chanterie, dit le bonhomme en reprenant son récit.

— À dix-huit ans, époque de son mariage, mademoiselle de La Chanterie, dit-il, était une jeune fille d’une complexion excessivement délicate, brune, à couleurs éclatantes, svelte, et de la plus jolie figure. Au-dessus d’un front d’une forme élégante, on admirait les plus beaux cheveux noirs en harmonie avec des yeux bruns et d’une expression gaie. Une sorte de mignardise dans la physionomie trompait sur son véritable caractère et sur sa mâle décision. Elle avait de petites mains, de petits pieds, quelque chose de mince, de frêle dans toute sa personne, qui excluait toute idée de force et de vivacité. Ayant toujours vécu près de sa mère elle était d’une parfaite innocence de mœurs et d’une piété remarquable. Cette jeune personne, de même que madame de La Chanterie était attachée aux Bourbons jusqu’au fanatisme, ennemie de la révolution française, et ne reconnaissait la domination de Napoléon que comme une plaie que la Providence infligeait à la France en punition des attentats de 1793. Cette conformité d’opinion de la belle-mère et du gendre fut, comme toujours en pareille occurrence, une raison déterminante pour le mariage auquel s’intéressa d’ailleurs toute l’aristocratie du pays. L’ami de ce misérable avait commandé lors de la reprise des hostilités en 1799, une bande de Chouans. Il paraît que le baron (le gendre de madame de La Chanterie était baron) n’avait d’autre dessein en liant sa femme et son ami que de se servir de cette affection pour leur demander aide et secours. Quoique criblé de dettes et sans moyens d’existence, ce jeune aventurier vivait très-bien et pouvait en effet facilement secourir le fauteur des conspirations royalistes.