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de repos, madame de La Chanterie maria sa fille unique à un gentilhomme dont la piété, les antécédents, la fortune offraient des garanties de toute espèce ; un homme qui, selon le dicton populaire, était la coqueluche de la meilleure compagnie du chef-lieu de préfecture où madame et sa fille passaient l’hiver. Notez que cette compagnie se composait de sept ou huit familles, comptées dans la haute noblesse de France, les d’Esgrignon, les Troisville, les Casteran, les Nouâtre, etc. Au bout de dix-huit mois, cet homme laissa sa femme et disparut dans Paris, où il changea de nom. Madame de La Chanterie ne put apprendre les causes de cette séparation qu’à la clarté de la foudre et au milieu de la tempête. Sa fille, élevée avec des soins minutieux et dans les sentiments religieux les plus purs, garda sur cet événement un silence absolu. Ce défaut de confiance frappa sensiblement madame de La Chanterie. Déjà plusieurs fois elle avait reconnu dans sa fille quelques indices qui trahissaient le caractère aventureux du père, mais augmenté d’une fermeté presque virile. Ce mari s’en alla de son plein gré, laissant ses affaires dans une situation pitoyable. Madame de La Chanterie est encore étonnée aujourd’hui de cette catastrophe, à laquelle aucune puissance humaine n’aurait pu remédier. Les gens qu’elle consulta prudemment avaient tous dit que la fortune du futur était claire et liquide, en terres, sans hypothèques, alors que le bien se trouvait, depuis dix ans, devoir au delà de sa valeur. Aussi les immeubles furent-ils vendus, et la pauvre mariée, réduite à sa seule fortune, revint-elle chez sa mère. Madame de La Chanterie a su plus tard que cet homme avait été soutenu par les gens les plus honorables du pays dans l’intérêt de leurs créances ; car ce misérable leur devait à tous des sommes plus ou moins considérables. Aussi, dès son arrivée dans la province, madame de La Chanterie avait-elle été regardée comme une proie. Néanmoins il y eut, à cette catastrophe, d’autres raisons qui vous seront révélées par une pièce confidentielle mise sous les yeux de l’empereur. Cet homme avait d’ailleurs depuis long-temps capté la bienveillance des sommités royalistes du département par son dévouement à la cause royale pendant les temps les plus orageux de la Révolution. Un des émissaires les plus actifs de Louis XVIII, il avait trempé, dès 1793, dans toutes les conspirations, en s’en retirant si savamment, avec tant d’adresse, qu’il finit par inspirer des soupçons. Remercié de ses services par Louis XVIII, et mis en dehors de toute affaire, il était revenu dans ses propriétés déjà gre-