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Le vieux noble, enrichi par ses maltôtes aux armées, aperçut en cette charmante fille la femme qui pouvait contenir son fils par l’autorité de la vertu, par l’ascendant d’un caractère ferme sans raideur ; car, vous l’avez vue ? nulle n’est plus douce que madame de La Chanterie ; mais aussi nulle ne fut plus confiante qu’elle, elle a jusques au déclin de la vie la candeur de l’innocence, elle ne voulait pas jadis croire au mal, elle a dû le peu de défiance que vous lui connaissez, à ses malheurs. Le vieillard s’engagea, vis-à-vis des Champignelles, à donner quittance au contrat de la légitime de mademoiselle Philiberte ; mais, en revanche, les Champignelles, alliés à de grandes maisons, promirent de faire ériger le fief de La Chanterie en baronnie, et ils tinrent parole. La tante du futur époux, madame de Boisfrelon, la femme du Conseiller au Parlement mort dans l’appartement que vous occupez, promit de léguer sa fortune à son neveu. Quand tous ces arrangements furent pris entre les deux familles, le père fit venir son fils. Maître des requêtes au Grand-Conseil, et âgé de vingt-cinq ans au moment de son mariage, le jeune homme avait fait de nombreuses folies avec les jeunes seigneurs de l’époque, en vivant à leur manière ; aussi le vieux maltôtier avait-il déjà plusieurs fois payé des dettes considérables. Ce pauvre père, en prévision de nouvelles fautes chez son fils, était assez enchanté de reconnaître à sa future belle-fille une certaine fortune ; mais il eut tant de méfiance, qu’il substitua le fief de La Chanterie aux enfants mâles à naître du mariage…

— La Révolution, dit le bonhomme Alain en forme de parenthèse, a rendu la précaution inutile.

— Doué d’une beauté d’ange, d’une adresse merveilleuse à tous les exercices du corps, le jeune maître des requêtes possédait le don de séduction, reprit-il. Mademoiselle de Champignelles devint donc, vous le croirez facilement, très-éprise de son mari. Le vieillard, extrêmement heureux des commencements de ce mariage, et croyant à une réforme chez son fils, envoya lui-même les nouveaux mariés à Paris. Ceci se passait au commencement de l’année 1788. Ce fut presque une année de bonheur. Madame de La Chanterie connut les petits soins, les attentions les plus délicates qu’un homme plein d’amour puisse prodiguer à une femme aimée uniquement. Quelque courte qu’elle ait été, la lune de miel a lui sur le cœur de cette si noble et si malheureuse femme. Vous savez qu’alors les mères nourrissaient elles-mêmes leurs enfants, et madame eut une