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— Mais, dites ? répliqua Godefroid, car je pourrais y voir autre chose que ce que vous y voyez !…

— Eh ! bien, le plaisir, dit le bonhomme, est un accident dans la vie du chrétien ; il n’en est pas le but, et nous comprenons cela trop tard.

— Et qu’arrive-t-il quand on se christianise ? demanda Godefroid.

— Tenez ! fit le bonhomme.

Il indiqua du doigt à Godefroid une inscription en lettres d’or sur un fonds noir que le nouveau pensionnaire n’avait pu voir, puisqu’il entrait pour la première fois dans la chambre du bonhomme. Godefroid, qui se retourna, lut : Transire benefaciendo.

— Voilà, mon enfant, le sens qu’on donne alors à la vie. C’est notre devise. Si vous devenez un des nôtres, ce sera là tout votre brevet. Nous lisons cet avis, que nous nous donnons à nous-mêmes à toute heure, en nous levant, en nous couchant, en nous habillant… Ah ! si vous saviez quels immenses plaisirs comporte l’accomplissement de cette devise !…

— Comme quoi ?… dit Godefroid, espérant des révélations.

— D’abord, nous sommes aussi riches que le baron de Nucingen… Mais l’Imitation de Jésus-Christ nous défend d’avoir rien à nous, nous ne sommes que dispensateurs, et si nous avions un seul mouvement d’orgueil, nous ne serions pas dignes d’être des dispensateurs. Ce ne serait pas Transire benefaciendo, ce serait jouir par la pensée. Que vous vous disiez avec un certain gonflement de narines, je joue le rôle de la Providence, comme vous auriez pu le penser si vous eussiez été ce matin à ma place en rendant la vie à une famille, vous devenez un Sardanapale ! un mauvais ! Aucun de ces messieurs ne pense plus à lui-même en faisant le bien, il faut dépouiller toute vanité, tout orgueil, tout amour-propre, et c’est difficile, allez !…

Godefroid souhaita le bonsoir à monsieur Alain, et revint chez lui vivement touché de ce récit ; mais sa curiosité fut plus irritée que satisfaite, car la grande figure du tableau que présentait cet intérieur était madame de La Chanterie. La vie de cette femme avait pour lui tant de prix qu’il faisait de cette information le but de son séjour à l’hôtel de La Chanterie. Il entrevoyait bien déjà dans l’association de ces cinq personnes une vaste entreprise de charité ; mais il y pensait beaucoup moins qu’à son héroïne.