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de bois en priant le charretier et les scieurs de donner à la petite femme une facture acquittée au nom du citoyen Mongenod.

— Là finit la période de ce que j’ai long-temps appelé ma bêtise, fit le bonhomme Alain en joignant les mains et les levant un peu par un mouvement de repentance.

Godefroid ne put s’empêcher de sourire, et il était, comme on va le voir, dans une grande erreur en souriant.

— Deux jours après, reprit le bonhomme, je rencontrai l’une de ces personnes qui ne sont ni amies ni indifférentes et avec lesquelles nous avons des relations de loin en loin, ce qu’on nomme enfin une connaissance, un monsieur Barillaud, qui par hasard, à propos des Péruviens, se dit ami de l’auteur : — Tu connais le citoyen Mongenod ? lui dis-je.

— Dans ce temps-là nous étions encore obligés de nous tutoyer tous, dit-il à Godefroid en façon de parenthèse.

— Ce citoyen me regarde, dit le bonhomme en reprenant son récit, et s’écria : — Je voudrais bien ne pas l’avoir connu, car il m’a plusieurs fois emprunté de l’argent et me témoigne assez d’amitié pour ne pas me le rendre. C’est un drôle de garçon ; un bon enfant, mais des illusions !… oh ! une imagination de feu. Je lui rends justice : il ne veut pas tromper ; mais comme il se trompe lui-même sur toutes choses, il arrive à se conduire en homme de mauvaise foi. — Mais que te doit-il ? — Bah ! quelque cent écus… C’est un panier percé. Personne ne sait où passe son argent, car il ne le sait peut-être pas lui-même. — A-t-il des ressources ? — Eh ! oui, me dit Barillaud en riant. Dans ce moment, il parle d’acheter des terres chez les Sauvages, aux États-Unis. J’emportai cette goutte de vinaigre que la médisance m’avait jetée au cœur et qui fit aigrir toutes mes bonnes dispositions. J’allai voir mon ancien patron, qui me servait de conseil. Dès que je lui eus confié le secret de mon prêt à Mongenod et la manière dont j’avais agi : — Comment ! s’écria-t-il, c’est un de mes clercs qui se conduit ainsi ? Mais il fallait remettre au lendemain et venir me voir. Vous auriez appris que j’ai consigné Mongenod à ma porte. Il m’a déjà, depuis un an, emprunté plus de cent écus en argent, une somme énorme ! Et trois jours avant d’aller déjeuner avec vous, il m’a rencontré dans la rue et m’a dépeint sa misère avec des mots si navrants que je lui ai donné deux louis ! — Si je suis la dupe d’un habile comédien, c’est tant pis pour lui, non pour moi ! lui dis-je.