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cher Mongenod ! lui dis-je en acceptant une prise de tabac qu’il m’offrit dans une tabatière de similor. — Bien triste, répondit-il. Il ne me reste qu’un ami…, et cet ami c’est toi. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter d’en arriver là, mais je viens te demander cent louis. La somme est forte, dit-il, en me voyant étonné ; mais si tu ne m’en donnais que cinquante, je serais hors d’état de te les rendre jamais ; tandis que si j’échoue dans ce que j’entreprends, il me restera cinquante louis pour tenter fortune en d’autres voies ; et je ne sais pas encore ce que le désespoir m’inspirera — Tu n’as rien ! fis-je. — J’ai, reprit-il en réprimant une larme, cinq sous de reste sur ma dernière pièce de monnaie. Pour me présenter chez toi, j’ai fait cirer mes souliers et je suis entré chez un coiffeur. J’ai ce que je porte. Mais, reprit-il en faisant un geste, je dois mille écus en assignats à mon hôtesse, et notre gargotier m’a refusé crédit hier. Je suis donc sans aucune ressource ! — Et que comptes-tu faire ? dis-je en m’immisçant déjà dans son for intérieur. — M’engager comme soldat, si tu me refuses… — Toi, soldat ! Toi, Mongenod ! — Je me ferai tuer, ou je deviendrai le général Mongenod. — Eh ! bien, lui dis-je tout ému, déjeune en toute tranquillité, j’ai cent louis…

— Là, dit le bonhomme en regardant Godefroid d’un air fin, je crus nécessaire de faire un petit mensonge de prêteur.

— C’est tout ce que je possède au monde, dis-je à Mongenod, j’attendais le moment où les fonds publics arriveraient au plus bas prix possible pour placer cet argent ; mais je le mettrai dans tes mains, et tu me considéreras comme ton associé, laissant à ta conscience le soin de me rendre le tout en temps et lieu. La conscience d’un honnête homme, lui dis-je, est le meilleur grand-livre. Mongenod me regardait fixement en m’écoutant, et paraissait s’incruster mes paroles au cœur. Il avança sa main droite, j’y mis ma main gauche, et nous nous serrâmes nos mains, moi très-attendri, lui sans retenir cette fois deux grosses larmes qui coulèrent sur ses joues déjà flétries. La vue de ces deux larmes me navra le cœur. Je fus encore plus touché quand, oubliant tout dans ce moment, Mongenod tira pour s’essuyer un mauvais mouchoir des Indes tout déchiré. — Reste là, lui dis-je en me sauvant pour aller à ma cachette le cœur ému comme si j’avais entendu une femme, m’avouant qu’elle m’aimait. Je revins avec deux rouleaux de chacun cinquante louis. — Tiens, compte-les… Il ne vou-