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du vieillard, dont le nez avait en effet l’apparence tuberculeuse de celui du saint, et dont la figure, semblable à celle d’un vieux vigneron, était le vrai duplicata de la grosse figure commune du fondateur des Enfants-Trouvés.

— Quant à moi, vous avez raison, dit-il en continuant ; ma vocation pour notre œuvre fut déterminée par un sentiment de repentir, à cause d’une aventure…

— Vous, une aventure ! s’écria doucement Godefroid à qui ce mot fit oublier ce qu’il voulait répondre d’abord au vieillard.

— Oh ! mon Dieu, ce que je vais vous raconter vous paraîtra sans doute une bagatelle, une niaiserie ; mais au tribunal de la conscience, il en fut autrement. Si vous persistez dans votre désir de participer à nos œuvres, après m’avoir écouté, vous comprendrez que les sentiments sont en raison de la force des âmes, et que le fait qui ne tourmente pas un esprit fort peut très-bien troubler la conscience d’un faible chrétien.

Après cette espèce de préface, on ne saurait exprimer à quel degré de curiosité le néophyte arriva. Quel était le crime de ce bonhomme, que madame de La Chanterie appelait son agneau pascal ? C’était aussi intéressant qu’un livre intitulé : les Crimes d’un mouton. Les moutons sont peut-être féroces envers les herbes et les fleurs ? À entendre un des plus doux républicains de ce temps-ci, le meilleur des êtres serait encore cruel envers quelque chose. Mais, le bonhomme Alain ! lui qui, semblable à l’oncle Tobie de Sterne, n’écrasait pas une mouche après avoir été piqué vingt fois par elle ! cette belle âme, avoir été torturée par un repentir !

Cette réflexion représente le point d’orgue que fit le vieillard après ces mots : Écoutez-moi ! et pendant lequel il avança son coussin sous les pieds de Godefroid pour le partager avec lui.

— J’avais alors un peu plus de trente ans, dit-il, nous étions en 98, autant qu’il m’en souvient, une époque où les jeunes gens devaient avoir l’expérience des gens de soixante ans. Un matin, un peu avant l’heure de mon déjeuner, à neuf heures, ma vieille femme de ménage m’annonce un des quelques amis que j’avais conservés au milieu des orages de la Révolution. Aussi mon premier mot fut-il une invitation à déjeuner. Mon ami, nommé Mongenod, garçon de vingt-huit ans, accepte, mais d’un air gêné ; je ne l’avais pas vu depuis 1793…