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venus. La présence de cette grande dame dans le salon de madame de La Chanterie était déjà bien extraordinaire ; mais la manière dont ces deux femmes s’abordèrent et se traitèrent fut pour Godefroid quelque chose d’inexplicable, car elle attestait une intimité, des relations constantes qui donnaient une immense valeur à madame de La Chanterie. Madame de Cinq-Cygne fut gracieuse et affectueuse avec les quatre amis de son amie, et marqua du respect à monsieur Nicolas. On voit que la vanité sociale gouvernait encore Godefroid qui, jusqu’alors assez indécis, résolut de se prêter, avec ou sans conviction, à tout ce que madame de La Chanterie et ses amis exigeraient de lui, pour arriver à se faire affilier par eux à leur Ordre, ou se faire initier à leurs secrets, en se promettant alors seulement de prendre un parti.

Le lendemain, il alla chez le teneur de livres que madame de La Chanterie lui indiqua, convint avec lui des heures auxquelles ils travailleraient ensemble, et il eut ainsi l’emploi de tout son temps, car l’abbé de Vèze le catéchisait le matin, il allait passer tous les jours deux heures chez le teneur de livres, et il travaillait entre le déjeuner et le dîner aux écritures commerciales imaginaires que son maître lui faisait tenir.

Quelques jours se passèrent ainsi, pendant lesquels Godefroid sentit le charme d’une vie où chaque heure a son emploi. Le retour de travaux connus à des moments déterminés, la régularité rend raison de bien des existences heureuses, et prouve combien les fondateurs des ordres religieux avaient profondément médité sur la nature de l’homme. Godefroid, qui s’était promis à lui-même d’écouter l’abbé de Vèze, avait déjà des craintes sur sa vie future, et commençait à trouver qu’il ignorait la gravité des questions religieuses. Enfin, de jour en jour madame de La Chanterie, près de laquelle il restait environ une heure après le second déjeuner, lui laissait découvrir de nouveaux trésors en elle ; il n’avait jamais imaginé de bonté si complète, ni si étendue. Une femme de l’âge que madame de La Chanterie paraissait avoir n’a plus aucune des petitesses de la jeune femme, c’est un ami qui vous offre toutes les délicatesses féminines, qui déploie les grâces, les recherches que la nature inspire à la femme pour l’homme, et qui ne les vend plus ; elle est exécrable ou parfaite, car toutes ses prétentions subsistent sous l’épiderme, ou sont mortes, et madame de La Chanterie était parfaite. Elle semblait n’avoir jamais eu de