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un amour d’âme à âme qui ressemble à ces fleurs si rares, nées sur les pics les plus élevés de la terre, et dont un ou deux exemples sont offerts à l’humanité de siècle en siècle, par lequel souvent des amants se sont unis, et qui rendent raison des attachements fidèles, inexplicable par les lois ordinaires du monde. C’est un attachement sans aucun mécompte, sans brouilles, sans vanité, sans luttes, sans contrastes même, tant les natures morales se sont également confondues. Ce sentiment immense, infini, né de la Charité catholique, Godefroid en entrevoyait les délices. Il ne pouvait pas croire par moments au spectacle qu’il avait sous les yeux, et il cherchait des raisons à l’amitié sublime de ces cinq personnes, étonné de trouver de vrais catholiques, des chrétiens du premier temps de l’Église dans le Paris de 1835.

Huit jours après son entrée au logis, Godefroid avait été témoin d’un tel concours de gens, il avait surpris des fragments de conversation où il s’agissait de choses si graves, qu’il entrevit une prodigieuse activité dans la vie de ces cinq personnes. Il s’aperçut que chacune d’elles dormait six heures au plus.

Toutes, elles avaient déjà fait, en quelque sorte, une première journée, lors du second déjeuner. Des étrangers apportaient ou remportaient des sommes, parfois importantes. Le garçon de caisse de Mongenod venait souvent, et toujours de grand matin, de manière à ce que son service ne souffrît pas de ces courses, en dehors des habitudes de la maison de banque.

Monsieur Mongenod lui-même vint un soir, et Godefroid remarqua chez lui, pour monsieur Alain, des nuances de familiarité filiale, mêlées au profond respect qu’il lui témoignait, comme aux trois autres pensionnaires de madame de La Chanterie.

Ce soir-là, le banquier ne fit à Godefroid que des questions banales : — S’il se trouvait bien ici, s’il y resterait, etc., en l’engageant à persévérer dans sa résolution.

— Il ne me manque qu’une seule chose pour être heureux, dit Godefroid.

— Eh ! quoi ? demanda le banquier.

— Une occupation.

— Une occupation ! reprit l’abbé de Vèze. Vous avez donc changé d’avis, vous étiez venu dans notre cloître y chercher le repos…

— Le repos sans la prière qui vivifiait les monastères, sans la