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— Voyez le faubourg, dit madame de La Chanterie à monsieur Nicolas qui partit.

Ce fut la première parole que Godefroid put saisir.

— Et vous le quartier Saint-Marceau, reprit-elle en s’adressant à monsieur Joseph. Battez le faubourg Saint-Germain et tâchez d’y trouver ce qu’il nous faut !… ajouta-t-elle en regardant l’abbé de Vèze qui sortit aussitôt.

— Et vous, mon cher Alain ! dit-elle en souriant au dernier, passez la revue… — Voici les affaires d’aujourd’hui décidées, dit-elle en revenant à Godefroid.

Et elle s’assit dans son fauteuil, prit sur une petite table devant elle du linge taillé qu’elle se mit à coudre, comme si elle eût été à la tâche.

Godefroid, perdu dans ses conjectures et croyant à une conspiration royaliste, prit la phrase de son hôtesse pour une ouverture, et il se mit à l’étudier en s’asseyant près d’elle. Il fut frappé de la dextérité singulière avec laquelle travaillait cette femme, en qui tout trahissait la grande dame ; elle avait une prestesse d’ouvrière, car tout le monde peut, à certaines façons, reconnaître le faire de l’ouvrier et celui d’un amateur.

— Vous allez, lui dit Godefroid, comme si vous connaissiez ce métier !…

— Hélas ! répondit-elle sans lever la tête, je l’ai fait jadis par nécessité !…

Deux grosses larmes jaillirent des yeux de cette vieille femme, et tombèrent du bas de ses joues sur le linge qu’elle tenait.

— Pardonnez-moi, madame, s’écria Godefroid.

Madame de La Chanterie regarda son nouveau pensionnaire, et vit sur sa figure une telle expression de regret qu’elle lui fit un signe amical. Après s’être essuyé les yeux, elle reprit aussitôt le calme qui caractérisait sa figure moins froide que froidie.

— Vous êtes ici, monsieur Godefroid, car vous savez déjà qu’on ne vous nommera que par votre nom de baptême, vous êtes au milieu des débris d’une grande tempête. Nous sommes tous meurtris et atteints dans nos cœurs, dans nos intérêts de famille ou dans nos fortunes par cet ouragan de quarante années qui a renversé la royauté, la religion, et dispersé les éléments de ce qui faisait la vieille France. Des mots indifférents en apparence nous blessent tous, et telle est la raison du silence qui règne ici. Nous