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les fastes du royalisme par la catastrophe qui termina la prise d’armes des Chouans au début du Consulat, l’autre si vénéré dans les fastes du vieux Parlement de Paris, Godefroid ne put retenir un tressaillement ; mais en regardant ces deux débris des deux plus grandes choses de la monarchie écroulée, la Noblesse et la Robe, il n’aperçut aucune inflexion dans les traits, aucun changement de physionomie qui révélât en eux une pensée mondaine. Ces deux hommes ne se souvenaient plus ou ne voulaient plus se souvenir de ce qu’ils avaient été. Ce fut une première leçon pour Godefroid.

— Chacun de vos noms, messieurs, est toute une histoire, leur dit-il respectueusement.

— L’histoire de notre temps, répondit monsieur Joseph, des ruines !

— Vous êtes en bonne compagnie, reprit en souriant monsieur Alain.

Celui-là sera dépeint en deux mots : c’était le petit bourgeois de Paris, un bon bourgeois à figure de veau relevée par des cheveux blancs, mais affadie par un sourire éternel.

Quant au prêtre, à l’abbé de Vèze, sa qualité disait tout. Le prêtre qui remplit sa mission est connu par le premier regard qu’il vous jette ou qu’on lui jette.

Ce qui frappa Godefroid pendant les premiers moments, ce fut le profond respect que les quatre pensionnaires témoignaient à madame de La Chanterie ; ils semblaient tous, même le prêtre, malgré le caractère sacré que lui donnaient ses fonctions, se trouver devant une reine. Godefroid remarqua la sobriété de tous les convives. Chacun mangea véritablement pour se nourrir. Madame de La Chanterie prit, comme tous ses commensaux, une seule pêche, une demi-grappe de raisin ; mais elle dit à son nouveau pensionnaire de ne pas imiter cette réserve en lui présentant tour à tour chaque plat.

La curiosité de Godefroid fut excitée au plus haut degré par ce début. Après le déjeuner, en rentrant au salon, on le laissa seul, et madame de La Chanterie alla tenir un petit conseil secret dans l’embrasure d’une des croisées avec les quatre amis. Cette conférence, sans aucune animation, dura près d’une demi-heure. On parlait à voix basse, en échangeant des paroles que chacun semblait avoir mûries. De temps en temps, monsieur Alain et monsieur Joseph consultaient un carnet en le feuilletant.