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Marcas, qui recevait en quelque sorte des arrhes, consentit à paraître faire cause commune avec le ministre tombé. Sans démasquer encore toutes les batteries de sa supériorité, Marcas s’avança plus que la première fois, il montra la moitié de son savoir-faire ; le ministère ne dura que cent quatre-vingts jours, il fut dévoré. Marcas, mis en rapport avec quelques députés, les avait maniés comme pâte, en laissant chez tous une haute idée de ses talents. Son mannequin fit de nouveau partie d’un ministère, et le journal devint ministériel. Le ministre réunit ce journal à un autre uniquement pour annuler Marcas, qui, dans cette fusion, dut céder la place à un concurrent riche et insolent, dont le nom était connu et qui avait déjà le pied à l’étrier. Marcas retomba dans la plus profonde misère, son allier protégé savait bien en quel abîme il le plongeait. Où aller ? Les journaux ministériels, avertis sous main, ne voulaient pas de lui. Les journaux de l’Opposition répugnaient à l’admettre dans leurs comptoirs. Marcas ne pouvait passer ni chez les républicains ni chez les légitimistes, deux partis dont le triomphe est le renversement de la chose actuelle.

— Les ambitieux aiment l’actualité, nous dit-il en souriant.

Il vécut de quelques articles relatifs à des entreprises commerciales. Il travailla dans une des encyclopédies que la spéculation et non la science a tenté de produire. Enfin, l’on fonda un journal qui ne devait vivre que deux ans, mais qui rechercha la rédaction de Marcas ; dès lors, il renoua connaissance avec les ennemis du ministre, il put entrer dans la partie qui voulait la chute du ministère ; et une fois que son pic put jouer, l’administration fut renversée.

Le journal de Marcas était mort depuis six mois, il n’avait pu trouver de place nulle part, on le faisait passer pour un homme dangereux, la calomnie mordait sur lui : il venait de tuer une immense opération financière et industrielle par quelques articles et par un pamphlet. On le savait l’organe d’un banquier qui, disait-on, l’avait richement payé, et de qui sans doute il attendait quelques complaisances en retour de son dévouement. Dégoûté des hommes et des choses, lassé par une lutte de cinq années, Marcas, regardé plutôt comme un condottiere que comme un grand capitaine, accablé par la nécessité de gagner du pain, ce qui l’empêchait de gagner du terrain, désolé de l’influence des écus sur la pensée, en proie à la plus profonde misère, s’était retiré dans sa man-