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tionne l’espérance, en acceptant des positions précaires d’où l’on lutte, en se laissant aller au mouvement de Paris, cette grande courtisane qui vous prend et vous laisse, vous sourit et vous tourne le dos avec une égale facilité, qui use les plus grandes volontés en des attentes captieuses, et où l’Infortune est entretenue par le Hasard.

Notre première rencontre avec Marcas nous causa comme un éblouissement. En revenant de nos Écoles, avant l’heure du dîner, nous montions toujours chez nous et nous y restions un moment, en nous attendant l’un l’autre, pour savoir si rien n’était changé à nos plans pour la soirée. Un jour, à quatre heures, Juste vit Marcas dans l’escalier ; moi, je le trouvai dans la rue. Nous étions alors au mois de novembre et Marcas n’avait point de manteau ; il portait des souliers à grosses semelles, un pantalon à pieds en cuir de laine, une redingote bleue boutonnée jusqu’au cou, et à col carré, ce qui donnait d’autant plus un air militaire à son buste qu’il avait une cravate noire. Ce costume n’a rien d’extraordinaire, mais il concordait bien à l’allure de l’homme et à sa physionomie. Ma première impression, à son aspect, ne fut ni la surprise, ni l’étonnement, ni la tristesse, ni l’intérêt, ni la pitié, mais une curiosité qui tenait de tous ces sentiments. Il allait lentement, d’un pas qui peignait une mélancolie profonde, la tête inclinée avant et non baissée à la manière de ceux qui se savent coupables. Sa tête, grosse et forte, qui paraissait contenir les trésors nécessaires à un ambitieux du premier ordre, était comme chargée de pensées ; elle succombait sous le poids d’une douleur morale, mais il n’y avait pas le moindre indice de remords dans ses trait. Quant à sa figure, elle sera comprise par un mot. Selon un système assez populaire, chaque face humaine a de la ressemblance avec un animal. L’animal de Marcas était le lion. Ses cheveux ressemblaient à une crinière, son nez était court, écrasé, large et fendu au bout comme celui d’un lion, il avait le front partagé comme celui d’un lion par un sillon puissant, divisé en deux lobes vigoureux. Enfin, ses pommettes velues que la maigreur des joues rendait d’autant plus saillantes, sa bouche énorme et ses joues creuses étaient remuées par des plis d’un dessin fier, et étaient relevées par un coloris plein de tons jaunâtres. Ce visage presque terrible semblait éclairé par deux lumières, deux yeux noirs, mais d’une douceur infinie, calmes, profonds, pleins de pensées. S’il est permis de s’exprimer ainsi,