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sont d’accord avec celui de la patrie. — Chose rare, dit le diplomate en souriant. — Il faut agir, ajouta Fouché ; la bataille se livre, et Mélas a des forces supérieures. Gênes est rendue, et Masséna a commis la faute de s’embarquer pour Antibes ; il n’est donc pas certain qu’il puisse rejoindre Bonaparte, qui restera réduit à ses seules ressources. — Qui vous a dit cette nouvelle ? demanda Carnot. — Elle est sûre, répondit Fouché. Vous aurez le courrier à l’heure de la Bourse.

— Ceux-là n’y faisaient point de façons, dit de Marsay en souriant et s’arrêtant un moment. — Or, ce n’est pas quand la nouvelle du désastre viendra, dit toujours Fouché, que nous pourrons organiser les clubs, réveiller le patriotisme et changer la constitution. Notre Dix-Huitième Brumaire doit être prêt. — Laissons-le faire au ministre de la police, dit le diplomate, et défions-nous de Lucien. (Lucien Bonaparte était alors ministre de l’intérieur.) Je l’arrêterai bien, dit Fouché. — Messieurs, s’écria Sieyès, notre Directoire ne sera plus soumis à des mutations anarchiques. Nous organiserons un pouvoir oligarchique, un sénat à vie, une chambre élective qui sera dans nos mains ; car sachons profiter des fautes du passé. — Avec ce système, j’aurai la paix, dit l’évêque. — Trouvez-moi un homme sûr pour correspondre avec Moreau, car l’armée d’Allemagne deviendra notre seule ressource ! s’écria Carnot qui était resté plongé dans une profonde méditation.

— En effet, reprit de Marsay après une pause, ces hommes avaient raison, Messieurs ! Ils ont été grands dans cette crise, et j’eusse fait comme eux.

— Messieurs, s’écria Sieyès d’un ton grave et solennel, dit de Marsay en reprenant son récit. — Ce mot : Messieurs ! fut parfaitement compris : tous les regards exprimèrent une même foi, la même promesse, celle d’un silence absolu, d’une solidarité complète au cas où Bonaparte reviendrait triomphant. — Nous savons tous ce que nous avons à faire, ajouta Fouché. Sieyès avait tout doucement dégagé le verrou, son oreille de prêtre l’avait bien servi. Lucien entra. — Bonne nouvelle, messieurs ! Un courrier apporte à madame Bonaparte un mot du premier Consul : il a débuté par une victoire à Montebello. Les trois ministres se regardèrent. — Est-ce une bataille générale ? demanda Carnot. — Non, un combat où Lannes s’est couvert de gloire. L’affaire a été sanglante. Attaqué avec dix mille hommes par dix-huit mille, il a été