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pierres et du plâtre ! Mais alors, nous savons seuls où il est, et comme vous nous tenez en prison depuis vingt-trois jours, il est mort faute d’aliments. Nous sommes des meurtriers, et vous ne nous avez pas accusés de meurtre. Mais s’il vit, nous avons des complices ; si nous avions des complices et si le sénateur est vivant, ne le ferions-nous donc point paraître ? Les intentions que vous nous supposez, une fois manquées, aggraverions-nous inutilement notre position ? Nous pourrions nous faire pardonner, par notre repentir, une vengeance manquée ; et nous persisterions à détenir un homme de qui nous ne pouvons rien obtenir ? N’est-ce pas absurde ? Remportez votre plâtre, son effet est manqué, dit-il à l’accusateur public, car nous sommes ou d’imbéciles criminels, ce que vous ne croyez pas, ou des innocents, victimes de circonstances inexplicables pour nous comme pour vous ! Vous devez bien plutôt chercher la masse de papiers qui s’est brûlée chez le sénateur et qui révèle des intérêts plus violents que les nôtres, et qui vous rendrait compte de son enlèvement. Il entra dans ces hypothèses avec une habileté merveilleuse. Il insista sur la moralité des témoins à décharge dont la foi religieuse était vive, qui croyaient à un avenir, à des peines éternelles. Il fut sublime en cet endroit et sut émouvoir profondément. — Hé ! quoi, dit-il, ces criminels dînent tranquillement en apprenant par leur cousine l’enlèvement du sénateur. Quand l’officier de gendarmerie leur suggère les moyens de tout finir, ils se refusent à rendre le sénateur, ils ne savent ce qu’on leur veut ! Il fit alors pressentir une affaire mystérieuse dont la clef se trouvait dans les mains du Temps, qui dévoilerait cette injuste accusation. Une fois sur ce terrain, il eut l’audacieuse et ingénieuse adresse de se supposer juré, il raconta sa délibération avec ses collègues, il se représenta comme tellement malheureux, si, ayant été cause de condamnations cruelles, l’erreur venait à être reconnue, il peignit si bien ses remords, et revint sur les doutes que le plaidoyer lui donnerait avec tant de force, qu’il laissa les jurés dans une horrible anxiété.

Les jurés n’étaient pas encore blasés sur ces sortes d’allocutions, elles eurent alors le charme des choses neuves, et le jury fut ébranlé. Après le chaud plaidoyer de monsieur de Grandville, les jurés eurent à entendre le fin et spécieux procureur qui multiplia les considérations, fit ressortir toutes les parties ténébreuses du procès et le rendit inexplicable. Il s’y prit de manière à frapper l’esprit et la