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chaudement disputée. Bordin et monsieur de Grandville semblaient avoir tout prévu. L’innocence doit un compte clair et plausible de ses actions. Le devoir de la Défense est donc d’opposer un roman probable au roman improbable de l’Accusation. Pour le défenseur qui regarde son client comme innocent, l’Accusation devient une fable. L’interrogatoire public des quatre gentilshommes expliquait suffisamment les choses en leur faveur. Jusque-là tout allait bien. Mais l’interrogatoire de Michu fut plus grave, et engagea le combat. Chacun comprit alors pourquoi monsieur de Grandville avait préféré la défense du serviteur à celle des maîtres.

Michu avoua ses menaces à Marion, mais il démentit la violence qu’on leur prêtait. Quant au guet-apens sur Malin, il dit qu’il se promenait tout uniment dans le parc ; le sénateur et monsieur Grévin pouvaient avoir eu peur en voyant la bouche du canon de son fusil, et lui supposer une position hostile quand elle était inoffensive. Il fit observer que le soir un homme qui n’a pas l’habitude de la chasse peut croire le fusil dirigé sur lui, tandis qu’il se trouve sur l’épaule au repos. Pour justifier l’état de ses vêtements lors de son arrestation, il dit s’être laissé tomber dans la brèche en retournant chez lui. — « N’y voyant plus clair pour la gravir, je me suis en quelque sorte, dit-il, colleté avec les pierres qui éboulaient sous moi quand je m’en aidais pour monter le chemin creux. » Quant au plâtre que Gothard lui apportait, il répondit, comme dans tous ses interrogatoires, qu’il avait servi à sceller un des poteaux de la barrière du chemin creux.

L’accusateur public et le président lui demandèrent d’expliquer comment il était à la fois et dans la brèche au château, et en haut du chemin creux à sceller un poteau à la barrière, surtout quand le juge de paix, les gendarmes et le garde champêtre déclaraient l’avoir entendu venir d’en bas. Michu dit que monsieur d’Hauteserre lui avait fait des reproches de ne pas avoir exécuté cette petite réparation à laquelle il tenait à cause des difficultés que ce chemin pouvait susciter avec la commune, il était donc allé lui annoncer le rétablissement de la barrière.

Monsieur d’Hauteserre avait effectivement fait poser une barrière en haut du chemin creux pour empêcher que la commune ne s’en emparât. En voyant quelle importance prenait l’état de ses vêtements, et le plâtre dont l’emploi n’était pas niable, Michu avait inventé ce subterfuge. Si, en justice, la vérité ressemble souvent à