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Le misérable n’a de vivres que pour cinq jours, et comme il est de notre intérêt qu’il vive, dès que tu auras lu ce petit mot, porte-lui de la nourriture pour au moins cinq jours. La forêt doit être surveillée, prends autant de précautions que nous en prenions pour nos jeunes maîtres. Ne dis pas un mot à Malin, ne lui parle point et mets un de nos masques que tu trouveras sur une des marches de la cave. Si tu ne veux pas compromettre nos têtes, tu garderas le silence le plus entier sur le secret que je suis forcé de te confier. N’en dis pas un mot à Mlle de Cinq-Cygne, qui pourrait caner. Ne crains rien pour moi. Nous sommes certains de la bonne issue de cette affaire, et, quand il le faudra, Malin sera notre sauveur. Enfin, dès que cette lettre sera lue, je n’ai pas besoin de te dire de la brûler, car elle me coûterait la tête si l’on en voyait une seule ligne. Je t’embrasse tant et plus.

Michu. »

L’existence du caveau situé sous l’éminence au milieu de la forêt n’était connue que de Marthe, de son fils, de Michu, des quatre gentilshommes et de Laurence ; du moins Marthe, à qui son mari n’avait rien dit de sa rencontre avec Peyrade et Corentin, devait le croire. Ainsi la lettre, qui d’ailleurs lui parut écrite et signée par Michu, ne pouvait venir que de lui. Certes, si Marthe avait immédiatement consulté sa maîtresse et ses deux conseils, qui connaissaient l’innocence des accusés, le rusé procureur aurait obtenu quelques lumières sur les perfides combinaisons qui avaient enveloppé ses clients ; mais Marthe, tout à son premier mouvement comme la plupart des femmes, et convaincue par ces considérations qui lui sautaient aux yeux, jeta la lettre dans la cheminée. Cependant, mue par une singulière illumination de prudence, elle retira du feu le côté de la lettre qui n’était pas écrit, prit les cinq premières lignes, dont le sens ne pouvait compromettre personne, et les cousit dans le bas de sa robe. Assez effrayée de savoir que le patient jeûnait depuis vingt-quatre heures, elle voulut lui porter du vin, du pain et de la viande dès cette nuit. Sa curiosité ne lui permettait pas plus que l’humanité de remettre au lendemain. Elle chauffa son four, et fit, aidée par sa mère, un pâté de lièvre et de canard, un gâteau de riz, rôtit deux poulets, prit trois bouteilles de vin, et boulangea elle-même deux pains ronds. Vers deux heures