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sous ces masques. Mais dites donc ces choses-là aux jurés qu’on nous donnera !

Cette perspicacité dans les affaires privées qui rend certains avocats et certains magistrats si grands étonnait et confondait Laurence ; elle eut le cœur serré par cette épouvantable logique.

— Sur cent affaires criminelles, dit Bordin, il n’y en a pas dix que la Justice développe dans toute leur étendue, et il y en a peut-être un bon tiers dont le secret lui est inconnu. La vôtre est du nombre de celles qui sont indéchiffrables pour les accusés et pour les accusateurs, pour la Justice et pour le public. Quant au souverain, il a d’autres pois à lier qu’à secourir messieurs de Simeuse quand même ils n’auraient pas voulu le renverser. Mais qui diable en veut à Malin ? Et que lui voulait-on ?

Bordin et monsieur de Grandville se regardèrent, ils eurent l’air de douter de la véracité de Laurence. Ce mouvement fut pour la jeune fille une des plus cuisantes des mille douleurs de cette affaire ; aussi jeta-t-elle aux deux défenseurs un regard qui tua chez eux tout mauvais soupçon.

Le lendemain la procédure fut remise aux défenseurs qui purent communiquer avec les accusés. Bordin apprit à la famille qu’en gens de bien, les six accusés s’étaient bien tenus, pour employer un terme de métier.

— Monsieur de Grandville défendra Michu, dit Bordin.

— Michu ?… s’écria M. de Chargebœuf étonné de ce changement.

— Il est le cœur de l’affaire, et là est le danger, répliqua le vieux procureur.

— S’il est le plus exposé, la chose me semble juste, s’écria Laurence.

— Nous apercevons des chances, dit monsieur de Grandville, et nous allons bien les étudier. Si nous pouvons les sauver, ce sera parce que monsieur d’Hauteserre a dit à Michu de réparer l’un des poteaux de la barrière du chemin creux, et qu’un loup a été vu dans la forêt, car tout dépend des débats devant une cour criminelle, et les débats rouleront sur de petites choses que vous verrez devenir immenses.

Laurence tomba dans l’abattement intérieur qui doit mortifier l’âme de toutes les personnes d’action et de pensée, quand l’inutilité de l’action et de la pensée leur est démontrée. Il ne s’agissait