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— Oh ! reprit le Procureur-général, il conservait, sur son mariage avec mademoiselle de Grandlieu, de telles espérances (je le tiens de la duchesse de Grandlieu elle-même) qu’il n’est pas possible de supposer un garçon si spirituel compromettant tout par un crime inutile.

— Oui, dit Camusot, surtout si cette Esther lui donnait tout ce qu’elle gagnait…

— Derville et Nucingen disent qu’elle est morte ignorant la succession qui lui était depuis longtemps échue, ajouta le Procureur-général.

— Mais, à quoi croyez-vous donc alors ? demanda Camusot, car il y a quelque chose.

— À un crime commis par les domestiques, répondit le procureur général.

— Malheureusement, fit observer Camusot, il est bien dans les mœurs de Jacques Collin, car le prêtre espagnol est bien certainement ce forçat évadé, de prendre les sept cent cinquante mille francs produits par la vente de l’inscription des rentes en trois pour cent donnée par Nucingen.

— Vous pèserez tout, mon cher Camusot, ayez de la prudence. L’abbé Carlos Herrera tient à la diplomatie… mais un ambassadeur qui commettrait un crime ne serait pas sauvegardé par son caractère. Est-ce ou n’est-ce pas l’abbé Carlos Herrera, voilà la question la plus importante…

Et monsieur de Grandville salua comme un homme qui ne veut pas de réponse.

— Lui aussi veut donc sauver Lucien ? pensa Camusot, qui prit par le quai des Lunettes pendant que le procureur général entrait au Palais par la cour de Harlay.

Arrivé dans la cour de la Conciergerie, Camusot entra chez le directeur de cette prison et l’emmena loin de toute oreille, au milieu du pavé.

— Mon cher monsieur, faites-moi le plaisir d’aller à la Force, savoir de votre collègue s’il a l’avantage de posséder en ce moment quelques forçats qui aient habité, de 1810 à 1815, le bagne de Toulon ; voyez si vous en avez aussi chez vous. Nous ferons transférer ceux de la Force ici pour quelques jours, et vous me direz si le prétendu prêtre espagnol sera reconnu par eux pour être Jacques Collin dit Trompe-la-Mort.