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jury : — Au nom de l’Empereur et de la Loi ! J’arrête les sieurs Paul-Marie et Marie-Paul de Simeuse, Adrien et Robert d’Hauteserre. Ces messieurs, ajouta-t-il en montrant à ceux qui l’accompagnaient des traces de boue sur les vêtements des prévenus, ne nieront pas d’avoir passé une partie de cette journée à cheval.

— De quoi les accusez-vous ? demanda fièrement mademoiselle de Cinq-Cygne.

— Vous n’arrêtez pas mademoiselle ? dit Giguet.

— Je la laisse en liberté, sous caution, jusqu’à un plus ample examen des charges qui pèsent sur elle.

Goulard offrit sa caution en demandant simplement à la comtesse sa parole d’honneur de ne pas s’évader. Laurence foudroya l’ancien piqueur de la maison de Simeuse par un regard plein de hauteur qui lui fit de cet homme un ennemi mortel, et une larme sortit de ses yeux, une de ces larmes de rage qui annoncent un enfer de douleurs. Les quatre gentilshommes échangèrent un regard terrible et restèrent immobiles. Monsieur et madame d’Hauteserre, craignant d’avoir été trompés par les quatre jeunes gens et par Laurence, étaient dans un état de stupeur indicible. Cloués dans leurs fauteuils, ces parents, qui se voyaient arracher leurs enfants après avoir tant craint pour eux et les avoir reconquis, regardaient sans voir, écoutaient sans entendre.

— Faut-il vous demander d’être ma caution, monsieur d’Hauteserre ? cria Laurence à son ancien tuteur qui fut réveillé par ce cri pour lui clair et déchirant comme le son de la trompette du jugement dernier.

Le vieillard essuya les larmes qui lui vinrent aux yeux, il comprit tout, et dit à sa parente d’une voix faible : — Pardon, comtesse, vous savez que je vous appartiens corps et âme.

Lechesneau, frappé d’abord de la tranquillité de ces coupables qui dînaient, revint à ses premiers sentiments sur leur culpabilité quand il vit la stupeur des parents et l’air songeur de Laurence, qui cherchait à deviner le piège qu’on lui avait tendu.

— Messieurs, dit-il poliment, vous êtes trop bien élevés pour faire une résistance inutile ; suivez-moi tous les quatre aux écuries où il est nécessaire de détacher en votre présence les fers de vos chevaux, qui deviendront des pièces importantes au procès, et démontreront peut-être votre innocence ou votre culpabilité. Venez aussi, mademoiselle…