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— Celui de vous qui deviendra mon frère restera près de moi jusqu’à ce que je lui permette de me quitter. Je veux être seule juge de l’opportunité du départ.

— Oui, dirent les deux frères sans s’expliquer la pensée de leur cousine.

— Le premier de vous deux à qui madame d’Hauteserre adressera la parole ce soir à table, après le Benedicite, sera mon mari. Mais aucun de vous n’usera de supercherie, et ne la mettra dans le cas de l’interroger.

— Nous jouerons franc jeu, dit le cadet.

Chacun des deux frères embrassa la main de Laurence. La certitude d’un dénouement que l’un et l’autre pouvait croire lui être favorable rendit les deux jumeaux extrêmement gais.

— De toute manière, chère Laurence, tu feras un comte de Cinq-Cygne, dit l’aîné.

— Et nous jouons à qui ne sera pas Simeuse, dit le cadet.

— Je crois, de ce coup, que madame ne sera pas longtemps fille, dit Michu derrière les deux d’Hauteserre. Mes maîtres sont bien joyeux. Si ma maîtresse fait son choix, je ne pars pas, je veux voir cette noce-là.

Aucun des deux d’Hauteserre ne répondit. Une pie s’envola brusquement entre les d’Hauteserre et Michu, qui, superstitieux comme les gens primitifs, crut entendre sonner les cloches d’un service mortuaire. La journée commença donc gaiement pour les amants, qui voient rarement des pies quand ils sont ensemble dans les bois. Michu armé de son plan reconnut les places ; chaque gentilhomme s’était muni d’une pioche : les sommes furent trouvées. La partie de la forêt où elles avaient été cachées était déserte, loin de tout passage et de toute habitation, ainsi la caravane chargée d’or ne rencontra personne. Ce fut un malheur. En venant de Cinq-Cygne pour chercher les derniers deux cent mille francs, la caravane, enhardie par le succès, prit un chemin plus direct que celui par lequel elle s’était dirigée aux voyages précédents. Ce chemin passait par un point culminant d’où l’on voyait le parc de Gondreville.

— Le feu ! dit Laurence en apercevant une colonne de feu bleuâtre.

— C’est quelque feu de joie, répondit Michu.

Laurence, qui connaissait les moindres sentiers de la forêt,