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bride, le vieux Beauvisage, le fermier de Bellache, vint à passer.

— Allons ! s’écria Gothard, voilà quelqu’un.

— Oh ! c’est moi, dit l’honnête fermier en débouchant. Salut, messieurs ; vous allez donc à la chasse, malgré les arrêtés de préfecture ? Ce n’est pas moi qui me plaindrai ; mais prenez garde ! Si vous avez des amis, vous avez aussi bien des ennemis.

— Oh ! dit en souriant le gros d’Hauteserre, Dieu veuille que notre chasse réussisse et tu retrouveras tes maîtres.

Ces paroles, auxquelles l’événement donna un tout autre sens, valurent un regard sévère de Laurence à Robert. L’aîné des Simeuse croyait que Malin restituerait la terre de Gondreville contre une indemnité. Ces enfants voulaient faire le contraire de ce que le marquis de Chargebœuf leur avait conseillé. Robert, qui partageait leurs espérances, y pensait en disant cette fatale parole.

— Dans tous les cas, motus, mon vieux ! dit à Beauvisage Michu qui partit le dernier en prenant la clef de la porte.

Il faisait une de ces belles journées de la fin de mars où l’air est sec, la terre nette, le temps pur, et dont la température forme une espèce de contresens avec les arbres sans feuilles. Le temps était si doux que l’œil apercevait par places des champs de verdure dans la campagne.

— Nous allons chercher un trésor, tandis que vous êtes le vrai trésor de notre maison, cousine, dit en riant l’aîné des Simeuse.

Laurence marchait en avant, ayant de chaque côté de son cheval un de ses cousins. Les deux d’Hauteserre la suivaient, suivis eux-mêmes par Michu. Gothard allait en avant pour éclairer la route.

— Puisque notre fortune va se retrouver, en partie du moins, épousez mon frère, dit le cadet à voix basse. Il vous adore, vous serez aussi riches que doivent l’être les nobles d'aujourd’hui.

— Non, laissez-lui toute sa fortune, et je vous épouserai, moi qui suis assez riche pour deux, répondit-elle.

— Qu’il en soit ainsi, s’écria le marquis de Simeuse. Moi, je vous quitterai pour aller chercher une femme digne d’être votre sœur.

— Vous m’aimez donc moins que je ne le croyais, reprit Laurence en le regardant avec une expression de jalousie.

— Non ; je vous aime plus tous les deux que vous ne m’aimez, répondit le marquis.