Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proposa de prendre le jour de la mi-carême pour retirer le million enterré dans la forêt. La grande quantité de neige tombée avait jusqu’alors empêché Michu d’aller chercher ce trésor ; mais il aimait mieux faire cette opération avec ses maîtres. Michu voulait absolument quitter le pays, il se craignait lui-même.

— Malin vient d’arriver brusquement à Gondreville, sans qu’on sache pourquoi, dit-il à sa maîtresse, et je ne résisterais pas à faire mettre Gondreville en vente par suite du décès du propriétaire. Je me crois comme coupable de ne pas suivre mes inspirations !

— Par quelle raison peut-il quitter Paris au milieu de l’hiver ?

— Tout Arcis en cause, répondit Michu, il a laissé sa famille à Paris, et n’est accompagné que de son valet de chambre. Monsieur Grévin, le notaire d’Arcis, madame Marion, la femme du Receveur-général de l’Aube, et belle-sœur du Marion qui a prêté son nom à Malin, lui tiennent compagnie.

Laurence regarda la mi-carême comme un excellent jour, car il permettait de se défaire des gens. Les mascarades attiraient les paysans à la ville, et personne n’était aux champs. Mais le choix du jour servit précisément la fatalité qui s’est rencontrée en beaucoup d’affaires criminelles. Le hasard fit ses calculs avec autant d’habileté que mademoiselle de Cinq-Cygne en mit aux siens. L’inquiétude de monsieur et madame d’Hauteserre devait être si grande de se savoir onze cent mille francs en or dans un château situé sur la lisière d’une forêt, que les d’Hauteserre consultés furent eux-mêmes d’avis de ne leur rien dire. Le secret de cette expédition fut concentré entre Gothard, Michu, les quatre gentilshommes et Laurence. Après bien des calculs, il parut possible de mettre quarante-huit mille francs dans un long sac sur la croupe de chaque cheval. Trois voyages suffiraient. Par prudence, on convint donc d’envoyer tous les gens dont la curiosité pouvait être dangereuse à Troyes, y voir les réjouissances de la mi-carême. Catherine, Marthe et Dulieu, sur qui l’on pouvait compter, garderaient le château. Les gens acceptèrent bien volontiers la liberté qu’on leur donnait, et partirent avant le jour. Gothard, aidé par Michu, pansa et sella les chevaux de grand matin. La caravane prit par les jardins de Cinq-Cygne, et de là maîtres et gens gagnèrent la forêt. Au moment où ils montèrent à cheval, car la porte du parc était si basse que chacun fit le parc à pied en tenant son cheval par la