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— Veux-tu m’en croire ?… dit Amélie. Rends le prêtre à la diplomatie dont il est le plus bel ornement, innocente ce petit misérable, et trouve d’autres coupables…

— Comme tu y vas !… répondit le juge en souriant. Les femmes tendent au but à travers les lois, comme les oiseaux que rien n’arrête dans l’air.

— Mais, reprit Amélie, diplomate ou forçat, l’abbé Carlos te désignera quelqu’un pour te tirer d’affaire.

— Je ne suis qu’un bonnet, tu es la tête, dit Camusot à sa femme.

— Eh ! bien, la délibération est close, viens embrasser ta Mélie, il est une heure…

Et madame Camusot alla se coucher en laissant son mari mettre ses papiers et ses idées en ordre pour les interrogatoires à faire subir le lendemain aux deux prévenus.

Donc, pendant que les paniers à salade amenaient Jacques Collin et Lucien à la Conciergerie, le juge d’instruction, après avoir déjeuné toutefois, traversait Paris à pied, selon la simplicité de mœurs adoptée par les magistrats parisiens, pour se rendre à son cabinet où déjà toutes les pièces de l’affaire étaient arrivées. Voici comment.

Tous les juges d’instruction ont un commis-greffier, espèce de secrétaire judiciaire assermenté, dont la race se perpétue sans primes, sans encouragements, qui produit toujours d’excellents sujets, chez lesquels le mutisme est naturel et absolu. On ignore au palais, depuis l’origine des parlements jusqu’aujourd’hui, l’exemple d’une indiscrétion commise par les greffiers-commis aux instructions judiciaires. Gentil a vendu la quittance donnée à Semblançay par Louise de Savoie, un commis de la guerre a vendu à Czernicheff le plan de la campagne de Russie ; tous ces traîtres étaient plus ou moins riches. La perspective d’une place au Palais, celle d’un greffe, la conscience du métier suffisent pour rendre le commis-greffier d’un juge d’instruction le rival heureux de la tombe, car la tombe est devenue indiscrète depuis les progrès de la chimie. Cet employé, c’est la plume même du juge. Beaucoup de gens comprendront qu’on soit l’arbre de la machine et se demanderont comment on peut en rester l’écrou ; mais l’écrou se trouve heureux, peut-être a-t-il peur de la machine ? Le greffier de Camusot, jeune homme de vingt-deux ans, nommé Coquart, était venu le matin prendre toutes les pièces et les notes du juge, et il