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mède que son parent indiquait. Aussi furent-ils tous trois moins gracieux pour le vieillard, sans cesser d’être polis. L’affection était froissée. Monsieur de Chargebœuf, qui sentit ce froid, jeta sur ces trois charmants êtres, à plusieurs reprises, des regards pleins de compassion. Quoique la conversation devînt générale, il revint sur la nécessité de se soumettre aux événements en louant monsieur d’Hauteserre de sa persistance à vouloir que ses fils prissent du service.

— Bonaparte, dit-il, fait des ducs. Il a créé des fiefs de l’Empire, il fera des comtes. Malin voudrait être comte de Gondreville. C’est une idée qui peut, ajouta-t-il en regardant messieurs de Simeuse, vous être profitable.

— Ou funeste, dit Laurence.

Dès que ses chevaux furent mis, le marquis partit et fut reconduit par tout le monde. Quand il se trouva dans sa voiture, il fit signe à Laurence de venir, et elle se posa sur le marchepied avec une légèreté d’oiseau.

— Vous n’êtes pas une femme ordinaire, et vous devriez me comprendre, lui dit-il à l’oreille. Malin a trop de remords pour vous laisser tranquilles, il vous tendra quelque piège. Au moins prenez bien garde à toutes vos actions, même aux plus légères ! Enfin, transigez, voilà mon dernier mot.

Les deux frères restèrent debout près de leur cousine, au milieu de la pelouse, regardant dans une profonde immobilité le berlingot qui tournait la grille et s’envolait sur le chemin vers Troyes, car Laurence leur avait répété le dernier mot du bonhomme. L’expérience aura toujours le tort de se montrer en berlingot, en bas chinés, et avec un crapaud sur la nuque. Aucun de ces jeunes cœurs ne pouvait concevoir le changement qui s’opérait en France, l’indignation leur remuait les nerfs et l’honneur bouillonnait dans toutes leurs veines avec leur noble sang.

— Le chef des Chargebœuf ! dit le marquis de Simeuse, un homme qui a pour devise : Vienne un plus fort ! (Adsit fortior !) un des plus beaux cris de guerre.

— Il est devenu le bœuf, dit Laurence en souriant avec amertume.

— Nous ne sommes plus au temps de Saint-Louis, reprit le cadet des Simeuse.

MOURIR EN CHANTANT ! s’écria la comtesse. Ce cri des cinq jeunes filles qui firent notre maison sera le mien.