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vant marquis de Chargebœuf, dont les propriétés s’étendent de Seine-et-Marne dans l’Aube, arriva de sa terre à Cinq-Cygne, dans une espèce de calèche que, dans ce temps, on nommait par raillerie un berlingot. Quand cette pauvre voiture enfila le petit pavé, les habitants du château, qui déjeunaient, eurent un accès de rire ; mais, en reconnaissant la tête chauve du vieillard, qui sortit entre les deux rideaux de cuir du berlingot, monsieur d’Hauteserre le nomma, et tous levèrent le siège pour aller au-devant du chef de la maison de Chargebœuf.

— Nous avons le tort de nous laisser prévenir, dit le marquis de Simeuse à son frère et aux d’Hauteserre, nous devions aller le remercier.

Un domestique, vêtu en paysan, qui conduisait de dessus un siége attenant à la caisse, planta dans un tuyau de cuir grossier un fouet de charretier, et vint aider le marquis à descendre ; mais Adrien et le cadet de Simeuse le prévinrent, défirent la portière qui s’accrochait à des boutons de cuivre, et sortirent le bonhomme malgré ses réclamations. Le marquis avait la prétention de donner son berlingot jaune, à portière en cuir, pour une voiture excellente et commode. Le domestique, aidé par Gothard, dételait déjà les deux bons gros chevaux à croupe luisante, et qui servaient sans doute autant à des travaux agricoles qu’à la voiture.

— Malgré le froid ? Mais vous êtes un preux des anciens jours, dit Laurence à son vieux parent en lui prenant le bras et l’emmenant au salon.

— Ce n’est pas à vous à venir voir un vieux bonhomme comme moi, dit-il avec finesse en adressant ainsi des reproches à ses jeunes parents.

— Pourquoi vient-il ? se demandait le bonhomme d’Hauteserre.

Monsieur de Chargebœuf, joli vieillard de soixante-sept ans, en culotte pâle, à petites jambes frêles et vêtues de bas chinés, portait un crapaud, de la poudre et des ailes de pigeon. Son habit de chasse, en drap vert, à boutons d’or, était orné de brandebourgs en or. Son gilet blanc éblouissait par d’énormes broderies en or. Cet attirail, encore à la mode parmi les vieilles gens, seyait à sa figure, assez semblable à celle du grand Frédéric. Il ne mettait jamais son tricorne pour ne pas détruire l’effet de la demi-lune dessinée sur son crâne par une couche de poudre. Il s’appuyait la main droite sur une canne à bec-à-corbin, en tenant à la fois et sa