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hasard des combats pouvait trancher cette difficulté ; mais qu’allait-il advenir de leur réunion ? Quand Marie-Paul et Paul-Marie, arrivés l’un et l’autre à l’âge où les passions sévissent de toute leur force, se partageraient les regards, les expressions, les attentions, les paroles de leur cousine, ne se déclarerait-il pas entre eux une jalousie dont les suites pouvaient être horribles ? Que deviendrait la belle existence égale et simultanée des jumeaux ? À ces suppositions, jetées une à une par chacun, pendant la dernière partie de boston, madame d’Hauteserre répondit qu’elle ne croyait pas que Laurence épouserait un de ses cousins. La vieille dame avait éprouvé durant la soirée un de ces pressentiments inexplicables, qui sont un secret entre les mères et Dieu. Laurence, dans son for intérieur, n’était pas moins effrayée de se voir en tête à tête avec ses cousins. Au drame animé de la conspiration, aux dangers que coururent les deux frères, aux malheurs de leur émigration, succédait un drame auquel elle n’avait jamais songé. Cette noble fille ne pouvait pas recourir au moyen violent de n’épouser ni l’un ni l’autre des jumeaux, elle était trop honnête femme pour se marier en gardant une passion irrésistible au fond de son cœur. Rester fille, lasser ses deux cousins en ne se décidant pas, et prendre pour mari celui qui lui serait fidèle malgré ses caprices fut une décision moins cherchée qu’entrevue. En s’endormant, elle se dit que le plus sage était de se laisser aller au hasard. Le hasard est, en amour, la providence des femmes.

Le lendemain matin, Michu partit pour Paris d’où il revint quelques jours après avec quatre beaux chevaux pour ses nouveaux maîtres. Dans six semaines, la chasse devait s’ouvrir, et la jeune comtesse avait sagement pensé que les violentes distractions de cet exercice seraient un secours contre les difficultés du tête-à-tête au château. Il arriva d’abord un effet imprévu qui surprit les témoins de ces étranges amours, en excitant leur admiration. Sans aucune convention méditée, les deux frères rivalisèrent auprès de leur cousine de soins et de tendresse, en y trouvant un plaisir d’âme qui sembla leur suffire. Entre eux et Laurence, la vie fut aussi fraternelle qu’entre eux deux. Rien de plus naturel. Après une si longue absence, ils sentaient la nécessité d’étudier leur cousine, de la bien connaître, et de se bien faire connaître à elle l’un et l’autre en lui laissant le droit de choisir, soutenus dans cette épreuve par cette mutuelle affection qui faisait de leur double vie