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— Si cela vous intrigue beaucoup, mon petit, dit en souriant Peyrade, regardez les fers de vos chevaux, et vous verrez que vous vous êtes trahis vous-mêmes.

— Sans rancune, dit Corentin en faisant signe au capitaine de gendarmerie de venir avec les chevaux.

— Ce misérable ouvrier parisien qui ferrait si bien les chevaux à l’anglaise et qui a quitté Cinq-Cygne était un des leurs ! s’écria Michu, il leur a suffi de faire reconnaître et suivre sur le terrain, quand il a fait humide, par un des leurs déguisé en fagotteur, en braconnier, les pas de nos chevaux ferrés avec quelques crampons. Nous sommes quittes.

Michu se consola bientôt en pensant que la découverte de cette cachette était maintenant sans danger, puisque les gentilshommes redevenaient français, et avaient recouvré leur liberté. Cependant, il avait raison dans tous ses pressentiments. La Police et les jésuites ont la vertu de ne jamais abandonner ni leurs ennemis ni leurs amis.

Le bonhomme d’Hauteserre revint de Paris, et fut assez étonné de ne pas avoir été le premier à donner la bonne nouvelle. Durieu préparait le plus succulent des dîners. Les gens s’habillaient, et l’on attendait avec impatience les proscrits, qui, vers quatre heures, arrivèrent à la fois joyeux et humiliés, car ils étaient pour deux ans sous la surveillance de la haute police, obligés de se présenter tous les mois à la préfecture, et tenus de demeurer pendant ces deux années dans la commune de Cinq-Cygne. — « Je vous enverrai à signer le registre, leur avait dit le préfet. Puis, dans quelques mois, vous demanderez la suppression de ces conditions, imposées d’ailleurs à tous les complices de Pichegru. J’appuierai votre demande. » Ces restrictions assez méritées attristèrent un peu les jeunes gens. Laurence se mit à rire.

— L’empereur des Français, dit-elle, est un homme assez mal élevé, qui n’a pas encore l’habitude de faire grâce.

Les gentilshommes trouvèrent à la grille tous les habitants du château, et sur le chemin une bonne partie des gens du village, venus pour voir ces jeunes gens que leurs aventures avaient rendus fameux dans le département. Madame d’Hauteserre tint ses fils longtemps embrassés et montra un visage couvert de larmes ; elle ne put rien dire, et resta saisie mais heureuse pendant une partie de la soirée. Dès que les jumeaux de Simeuse se montrèrent et descen-