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pas étonnés de voir, quelques jours après, Goulard qui vint dire à madame d’Hauteserre et à Laurence qu’elles eussent à envoyer les quatre gentilshommes à Troyes, où le préfet leur remettrait l’arrêté qui les réintégrait dans tous leurs droits après leur prestation de serment et leur adhésion aux lois de l’Empire. Laurence répondit au maire qu’elle ferait avertir ses cousins et messieurs d’Hauteserre.

— Ils ne sont donc pas ici ? dit Goulard.

Madame d’Hauteserre regardait avec anxiété la jeune fille, qui sortit en laissant le maire pour aller consulter Michu. Michu ne vit aucun inconvénient à délivrer immédiatement les émigrés. Laurence, Michu, son fils et Gothard partirent donc à cheval pour la forêt en emmenant un cheval de plus, car la comtesse devait accompagner les quatre gentilshommes à Troyes et revenir avec eux. Tous les gens qui apprirent cette bonne nouvelle s’attroupèrent sur la pelouse pour voir partir la joyeuse cavalcade. Les quatre jeunes gens sortirent de leur cachette, montèrent à cheval sans être vus et prirent la route de Troyes, accompagnés de mademoiselle de Cinq-Cygne. Michu, aidé par son fils et Gothard, referma l’entrée de la cave et tous trois revinrent à pied. En route, Michu se souvint d’avoir laissé dans le caveau les couverts et le gobelet d’argent qui servaient à ses maîtres, il y retourna seul. En arrivant sur le bord de la mare, il entendit des voix dans la cave et alla directement vers l’entrée à travers les broussailles.

— Vous venez sans doute chercher votre argenterie ? lui dit Peyrade en souriant et lui montrant son gros nez rouge dans le feuillage.

Sans savoir pourquoi, car enfin les jeunes gens étaient sauvés, Michu sentit à toutes ses articulations une douleur, tant fut vive chez lui cette espèce d’appréhension vague, indéfinissable, que cause un malheur à venir ; néanmoins il s’avança et trouva Corentin sur l’escalier, un rat de cave à la main.

— Nous ne sommes pas méchants, dit-il à Michu, nous aurions pu pincer vos ci-devant depuis une semaine mais nous les savions radiés… Vous êtes un rude gaillard ! Et vous nous avez donné trop de mal pour que nous ne satisfassions pas au moins notre curiosité.

— Je donnerais bien quelque chose, s’écria Michu, pour savoir comment et par qui nous avons été vendus.