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passé la nuit dehors pour avertir mademoiselle de Cinq-Cygne de notre arrivée et faire sauver ses cousins que vous avez amenés ici, je ne sais pas encore où. Votre fils ou votre femme ont jeté le brigadier par terre assez spirituellement. Enfin vous nous avez battus. Vous êtes un fameux luron. Mais tout n’est pas dit, nous n’aurons pas le dernier. Voulez-vous transiger ? vos maîtres y gagneront.

— Venez par ici, nous causerons sans pouvoir être entendus, dit Michu en emmenant l’espion dans le parc jusqu’à l’étang.

Quand Corentin vit la pièce d’eau, il regarda fixement Michu, qui comptait sans doute sur sa force pour jeter cet homme dans sept pieds de vase sous trois pieds d’eau. Michu répondit par un regard non moins fixe. Ce fut absolument comme si un boa flasque et froid eût défié un de ces roux et fauves jaguars du Brésil.

— Je n’ai pas soif, répondit le muscadin qui resta sur le bord de la prairie et mit la main dans sa poche de côté pour y prendre son petit poignard.

— Nous ne pouvons pas nous comprendre, dit Michu froidement.

— Tenez-vous sage, mon cher, la Justice aura l’œil sur vous.

— Si elle n’y voit pas plus clair que vous il y a du danger pour tout le monde, dit le régisseur.

— Vous refusez ? dit Corentin d’un ton expressif.

— J’aimerais mieux avoir cent fois le cou coupé, si l’on pouvait couper cent fois le cou à un homme, que de me trouver d’intelligence avec un drôle tel que toi.

Corentin remonta vivement en voiture après avoir toisé Michu, le pavillon et Couraut qui aboyait après lui. Il donna quelques ordres en passant à Troyes, et revint à Paris. Toutes les brigades de gendarmerie eurent une consigne et des instructions secrètes.

Pendant les mois de décembre, janvier et février, les recherches furent actives et incessantes dans les moindres villages. On écouta dans tous les cabarets. Corentin apprit trois choses importantes : un cheval semblable à celui de Michu fut trouvé mort dans les environs de Lagny. Les cinq chevaux enterrés dans la forêt de Nodesme avaient été vendus cinq cents francs chacun, par des fermiers et des meuniers, à un homme qui, d’après le signalement, devait être Michu. Quand la loi sur les receleurs et les complices de Georges fut rendue, Corentin restreignit sa surveillance à la forêt de Nodesme. Puis quand Moreau, les royalistes et Pichegru