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Laurence aussi se leva, se mit auprès des deux espions et dit : — Oh ! lisez à haute voix, ce sera votre punition.

Comme ils lisaient des yeux seulement, elle lut elle-même la lettre suivante.

Chère Laurence,

Nous avons connu votre belle conduite dans la triste journée de notre arrestation, mon mari et moi. Nous savons que vous aimez nos jumeaux chéris autant et tout aussi également que nous les aimons nous-mêmes ; aussi est-ce vous que nous chargeons d’un dépôt à la fois précieux et triste pour eux. Monsieur l’exécuteur vient de nous couper les cheveux, car nous allons mourir dans quelques instants, et il nous a promis de vous faire tenir les deux seuls souvenirs de nous qu’il nous soit possible de donner à nos orphelins bien-aimés. Gardez-leur donc ces restes de nous, vous les leur donnerez en des temps meilleurs. Nous avons mis là un dernier baiser pour eux avec notre bénédiction. Notre dernière pensée sera d’abord pour nos fils, puis pour vous, enfin pour Dieu ! Aimez-les bien.

Berthe de Cinq-Cygne.
Jean de Simeuse. »

Chacun eut les larmes aux yeux à la lecture de cette lettre.

Laurence dit aux agents, d’une voix ferme, en leur jetant un regard pétrifiant : — Vous avez moins de pitié que monsieur l’exécuteur.

Corentin mit tranquillement les cheveux dans la lettre, et la lettre de côté sur la table en y plaçant un panier plein de fiches pour qu’elle ne s’envolât point. Ce sang-froid au milieu de l’émotion générale était affreux. Peyrade dépliait les deux autres lettres.

— Oh ! quant à celles-ci, reprit Laurence, elles sont à peu près pareilles. Vous avez entendu le testament, en voici l’accomplissement. Désormais mon cœur n’aura plus de secrets pour personne, voilà tout.

« 1794, Andenach, avant le combat.

Ma chère Laurence, je vous aime pour la vie et je veux que vous le sachiez bien ; mais, dans le cas où je viendrais à mourir,