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le prince, de gagner une large gratification. Ainsi la chasse à l’homme est supérieure à l’autre chasse de toute la distance qui existe entre les hommes et les animaux. D’ailleurs, l’espion a besoin d’élever son rôle à toute la grandeur et à l’importance des intérêts auxquels il se dévoue. Sans tremper dans ce métier, chacun peut donc concevoir que l’âme y dépense autant de passion que le chasseur en met à poursuivre le gibier. Ainsi, plus ils avançaient vers la lumière, plus ces deux hommes étaient ardents ; mais leur contenance, leurs yeux restaient calmes et froids, de même que leurs soupçons, leurs idées, leur plan restaient impénétrables. Mais, pour qui eût suivi les effets du flair moral de ces deux limiers à la piste des faits inconnus et cachés, pour qui eût compris les mouvements d’agilité canine qui les portaient à trouver le vrai par le rapide examen des probabilités, il y avait de quoi frémir ! Comment et pourquoi ces hommes de génie étaient-ils si bas quand ils pouvaient être si haut ? Quelle imperfection, quel vice, quelle passion les ravalait ainsi ? Est-on homme de police comme on est penseur, écrivain, homme d’État, peintre, général, à la condition de ne savoir faire qu’espionner, comme ceux-là parlent, écrivent, administrent, peignent ou se battent ? Les gens du château n’avaient dans le cœur qu’un même souhait : Le tonnerre ne tombera-t-il pas sur ces infâmes ? Ils avaient tous soif de vengeance. Aussi, sans la présence des gendarmes, y aurait-il eu révolte.

— Personne n’a la clef du coffret ? demanda le cynique Peyrade en interrogeant l’assemblée autant par le mouvement de son gros nez rouge que par sa parole.

Le Provençal remarqua, non sans un mouvement de crainte, qu’il n’y avait plus de gendarmes. Corentin et lui se trouvaient seuls. Corentin tira de sa poche un petit poignard et se mit en devoir de l’enfoncer dans la fente de la boîte. En ce moment, on entendit d’abord sur le chemin, puis sur le petit pavé de la pelouse, le bruit horrible d’un galop désespéré ; mais ce qui causa bien plus d’effroi fut la chute et le soupir du cheval qui s’abattit des quatre jambes à la fois au pied de la tourelle du milieu. Une commotion pareille à celle que produit la foudre ébranla tous les spectateurs, quand on vit Laurence que le frôlement de son amazone avait annoncée ; ses gens s’étaient vivement mis en haie pour la laisser passer. Malgré la rapidité de sa course, elle avait ressenti la douleur que devait lui causer la découverte de la conspiration : toutes