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— Si messieurs de Simeuse sont ici, dit le curé, je donnerais dix pintes de mon sang et un bras pour les sauver ; mais si mademoiselle de Cinq-Cygne est leur confidente, elle n’a pas commis, je le jure par mon salut éternel, la moindre indiscrétion et ne m’a pas fait l’honneur de me consulter. Je suis maintenant très-content de sa discrétion, si toutefois discrétion il y a. Nous avons joué hier soir, comme tous les jours, au boston, dans le plus profond silence jusqu’à dix heures et demie, et nous n’avons rien vu ni entendu. Il ne passe pas un enfant dans cette vallée solitaire sans que tout le monde le voie et le sache, et depuis quinze jours il n’y est venu personne d’étranger. Or, messieurs d’Hauteserre et de Simeuse font une troupe à eux quatre. Le bonhomme et sa femme sont soumis au gouvernement, et ils ont fait tous les efforts imaginables pour ramener leurs fils auprès d’eux ; ils leur ont encore écrit avant-hier. Aussi, dans mon âme et conscience, a-t-il fallu votre descente ici pour ébranler la ferme croyance où je suis de leur séjour en Allemagne. Entre nous, il n’y a ici que la jeune comtesse qui ne rende pas justice aux éminentes qualités de monsieur le Premier Consul.

— Finaud ! pensa Corentin. — Si ces jeunes gens sont fusillés, c’est qu’on l’aura bien voulu ! répondit-il à haute voix, maintenant je m’en lave les mains.

Il avait amené l’abbé Goujet dans un endroit fortement éclairé par la lune, et il le regarda brusquement en disant ces fatales paroles. Le prêtre était fortement affligé, mais en homme surpris et complètement ignorant.

— Comprenez donc, monsieur l’abbé, reprit Corentin, que leurs droits sur la terre de Gondreville les rendent doublement criminels aux yeux des gens en sous-ordre ! Enfin, je veux leur faire avoir affaire à Dieu et non à ses saints.

— Il y a donc un complot ? demanda naïvement le curé.

— Ignoble, odieux, lâche, et si contraire à l’esprit généreux de la nation, reprit Corentin, qu’il sera couvert d’un opprobre général.

— Eh ! bien, madermoiselle de Cinq-Cygne est incapable de lâcheté, s’écria le curé.

— Monsieur l’abbé, reprit Corentin, tenez, il y a pour nous (toujours de vous à moi) des preuves évidentes de sa complicité ; mais il n’y en a point encore assez pour la justice. Elle a pris la fuite à