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On ne souhaite pas la perte de messieurs de Simeuse ; si Malin les voudrait voir fusiller, le premier consul, s’ils sont ici, s’ils n’ont pas de mauvaises intentions, veut les arrêter sur le bord du précipice car il aime les bons militaires. L’agent qui m’accompagne a tous les pouvoirs, moi je ne suis rien en apparence, mais je sais où est le complot. L’agent a le mot de Malin, qui sans doute lui a promis sa protection, une place et peut-être de l’argent, s’il peut trouver les deux Simeuse et les livrer. Le Premier Consul, qui est vraiment un grand homme, ne favorise point les pensées cupides. Je ne veux point savoir si les deux jeunes gens sont ici, fit-il en apercevant un geste chez le curé ; mais ils ne peuvent être sauvés que d’une seule manière. Vous connaissez la loi du 6 floréal an X, elle amnistie les émigrés qui sont encore à l’étranger, à la condition de rentrer avant le premier vendémiaire de l’an XI, c’est-à-dire en septembre de l’année dernière ; mais messieurs de Simeuse ayant, ainsi que messieurs d’Hauteserre, exercé des commandements dans l’armée de Condé, sont dans le cas de l’exception posée par cette loi ; leur présence en France est donc un crime, et suffit, dans les circonstances où nous sommes, pour les rendre complices d’un horrible complot. Le Premier Consul a senti le vice de cette exception qui fait à son gouvernement des ennemis irréconciliables ; il voudrait faire savoir à messieurs de Simeuse qu’aucune poursuite ne sera faite contre eux, s’ils lui adressent une pétition dans laquelle ils diront qu’ils rentrent en France dans l’intention de se soumettre aux lois, en promettant de prêter serment à la constitution. Vous comprenez que cette pièce doit être entre ses mains avant leur arrestation et datée d’il y a quelques jours, je puis en être porteur. Je ne vous demande pas où sont les jeunes gens, dit-il en voyant le curé faire un nouveau geste de dénégation, nous sommes malheureusement sûrs de les trouver ; la forêt est gardée, les entrées de Paris sont surveillées et la frontière aussi. Écoutez-moi bien, si ces messieurs sont entre cette forêt et Paris, ils seront pris ; s’ils sont à Paris, on les y trouvera ; s’ils rétrogradent, les malheureux seront arrêtés. Le Premier Consul aime les cis-devant et ne peut souffrir les républicains, et cela est tout simple : s’il veut un trône, il doit égorger la Liberté. Que ce secret reste entre nous. Ainsi, voyez ! J’attendrai jusqu’à demain, je serai aveugle ; mais défiez-vous de l’agent ; ce maudit Provençal est le valet du diable, il a le mot de Fouché, comme j’ai celui du Premier Consul.