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Michu s’altéra. — Depuis la fuite des jeunes gens, je leur ai fait passer les sommes qui leur étaient nécessaires pour vivre honorablement.

— Par la maison Breintmayer de Strasbourg ? dit-elle.

— Oui, mademoiselle, les correspondants de monsieur Girel de Troyes, un royaliste qui, pour sa fortune, a fait, comme moi, le jacobin. Le papier que votre fermier a ramassé un soir, à la sortie de Troyes, était relatif à cette affaire qui pouvait nous compromettre : ma vie n’était plus à moi, mais à eux, vous comprenez ? Je n’ai pu me rendre maître de Gondreville. Dans ma position, on m’aurait coupé le cou en me demandant où j’avais pris tant d’or. J’ai préféré racheter la terre un peu plus tard ; mais ce scélérat de Marion était l’homme d’un autre scélérat, de Malin. Gondreville reviendra tout de même à ses maîtres. Cela me regarde. Il y a quatre heures, je tenais Malin au bout de mon fusil, oh ! il était fumé ! Dame ! une fois mort, on licitera Gondreville, on le vendra, et vous pouvez l’acheter. En cas de ma mort, ma femme vous aurait remis une lettre qui vous en eût donné les moyens. Mais ce brigand disait à son compère Grévin, une autre canaille, que messieurs de Simeuse conspiraient contre le Premier Consul, qu’ils étaient dans le pays et qu’il valait mieux les livrer et s’en débarrasser, pour être tranquille à Gondreville. Or, comme j’avais vu venir deux maîtres espions, j’ai désarmé ma carabine, et je n’ai pas perdu de temps pour accourir ici, pensant que vous deviez savoir où et comment prévenir les jeunes gens. Voilà.

— Vous êtes digne d’être noble, dit Laurence, en tendant sa main à Michu qui voulut se mettre à genoux pour baiser cette main. Laurence vit son mouvement, le prévint et lui dit : — Debout, Michu ! d’un son de voix et avec un regard qui le rendirent en ce moment aussi heureux qu’il avait été malheureux depuis douze ans.

— Vous me récompensez comme si j’avais fait tout ce qui me reste à faire, dit-il. Les entendez-vous, les hussards de la guillotine ? Allons causer ailleurs. Michu prit la bride de la jument en se mettant du côté par lequel la comtesse se présentait de dos, et lui dit : — Ne soyez occupée qu’à vous bien tenir, à frapper votre bête et à vous garantir la figure des branches d’arbre qui voudront vous la fouetter.

Puis il dirigea la jeune fille pendant une demi-heure au grand galop, en faisant des détours, des retours, coupant son propre