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était parlant, dont les yeux brillaient alors comme des étoiles ; elles lui avaient vu de la sueur à la racine des cheveux, plus d’une fois sa parole avait vibré d’impatience et de rage. Aussi Marthe obéit-elle passivement. Armé jusqu’aux dents, le fusil sur l’épaule, Michu sauta dans l’avenue, suivi de sa femme ; et ils atteignirent promptement le carrefour où François s’était caché dans des broussailles.

— Le petit a de la compréhension, dit Michu en le voyant.

Ce fut sa première parole. Sa femme et lui avaient couru jusque-là sans pouvoir prononcer un mot.

— Retourne au pavillon, cache-toi dans l’arbre le plus touffu, observe la campagne, le parc, dit-il à son fils. Nous sommes tous couchés, nous n’ouvrons à personne. Ta grand-mère veille, et ne remuera qu’en t’entendant parler ! Retiens mes moindres paroles. Il s’agit de la vie de ton père et de celle de ta mère. Que la justice ne sache jamais que nous avons découché. Après ces phrases dites à l’oreille de son fils, qui fila, comme une anguille dans la vase, à travers les bois, Michu dit à sa femme : À cheval ! Et prie Dieu d’être pour nous. Tiens-toi bien ! La bête peut en crever.

À peine ces mots furent-ils dits que le cheval, dans le ventre duquel Michu donna deux coups de pied, et qu’il pressa de ses genoux puissants, partit avec la célérité d’un cheval de course ; l’animal sembla comprendre son maître, en un quart d’heure la forêt fut traversée. Michu, sans avoir dévié de la route la plus courte, se trouva sur un point de la lisière d’où les cimes du château de Cinq-Cygne apparaissaient éclairées par la lune. Il lia son cheval à un arbre et gagna lestement le monticule d’où l’on dominait la vallée de Cinq-Cygne.

Le château, que Marthe et Michu regardèrent ensemble pendant un moment, fait un effet charmant dans le paysage. Quoiqu’il n’ait aucune importance comme étendue ni comme architecture, il ne manque point d’un certain mérite archéologique. Ce vieil édifice du quinzième siècle, assis sur une éminence, environné de douves profondes, larges et encore pleines d’eau, est bâti en cailloux et en mortier, mais les murs ont sept pieds de largeur. Sa simplicité rappelle admirablement la vie rude et guerrière aux temps féodaux. Ce château, vraiment naïf, consiste dans deux grosses tours rougeâtres, séparées par un long corps de logis percé de véritables croisées en pierre, dont les croix grossièrement sculptées ressem-