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les princes et le comité royaliste de Paris. L’abbé, mis comme le voulait cette époque, se trouvait sur le pas de la porte de cette boutique, située entre Saint-Roch et la rue des Frondeurs, quand une foule, qui remplissait la rue Saint-Honoré, l’empêcha de sortir.

— Qu’est-ce ? dit-il à madame Ragon.

— Ce n’est rien, reprit-elle, c’est la charrette et le bourreau qui vont à la place Louis XV. Ah ! nous l’avons vu bien souvent l’année dernière ; mais aujourd’hui, quatre jours après l’anniversaire du 21 janvier, on peut regarder cet affreux cortège sans chagrin.

— Pourquoi, dit l’abbé, ce n’est pas chrétien, ce que vous dites.

— Eh ! c’est l’exécution des complices de Robespierre, ils se sont défendus tant qu’ils ont pu ; mais ils vont à leur tour là où ils ont envoyé tant d’innocents.

Une foule qui remplissait la rue Saint-Honoré passa comme un flot. Au-dessus des têtes, l’abbé de Marolles, cédant à un mouvement de curiosité, vit debout, sur la charrette, celui qui, trois jours auparavant, écoutait sa messe.

— Qui est-ce ?… dit-il, celui qui…

— C’est le bourreau, répondit monsieur Ragon en nommant l’exécuteur des hautes œuvres par son nom monarchique.

— Mon ami ! mon ami ! cria madame Ragon, monsieur l’abbé se meurt.

Et la vieille dame prit un flacon de vinaigre pour faire revenir le vieux prêtre évanoui.

— Il m’a sans doute donné, dit-il, le mouchoir avec lequel le roi s’est essuyé le front, en allant au martyre… Pauvre homme !… le couteau d’acier a eu du cœur quand toute la France en manquait !…

Les parfumeurs crurent que le pauvre prêtre avait le délire.


Paris, janvier 1831.